"Grand ou petit, il n'est point d'homme si ignoré qui n'ait reçu un nom au moment où sa mère l'a mis au monde".
Homère, "Odyssée" , VIII, 552-553.

HISTOIRE DE LA NOMINATION SELON LES PEUPLES :
Des origines aux processus et les raisons de leur étude :
Nous avons souvent oublié le sens primitif du nom que nous portons, et ce depuis combien de générations ? Si le prénom est choisi par les parents suivant la consonance qui plait ou pas, pour le nom de famille, le nom patronymique, la question ne se pose pas: nous en héritons à notre naissance sans l'avoir choisi, ni nous ni nos parents. Protégé (encore) par la loi, seule l'autorité civile, souvent judiciaire, peut le modifier dans certaines conditions et encore faut-il un motif valable pour en présenter la requête. Bien entendu il n'en fut pas ainsi dès l'origine. Et l'on peut même certifier que le supposé 1er père, dans la nuit des temps passés, qui donna à son fils le nom d'Amiel, savait très bien l'importance de cet acte que, de nos jours, nous trouvons assez banal. Le 1er hébreu qui, au cours du 2ème millénaire de l'ère qui précède la notre, donna à celui qu'il procréa le nom individuel d'Am-i-El soit "le dieu El est mon oncle" en ce temps-là, savait très bien qu'il glorifiait ainsi ses origines, mettait sa progéniture dans la protection divine de son dieu, pensait respectueusement à ses ancêtres ou plutôt son ancêtre comme à sa divinité (qui deviendra unique et nationale). Le 1er grec qui appela son fils Nicolas (Nikolaos) soit "le vainqueur des peuples", une signification qui a bien perdu de son lustre, ce grec avait en ce temps-là conscience des espérances qu'il mettait en lui. L'étymologiste doit se placer, en pensée, dans l'état mental où étaient ces pères si lointains lorsqu'ils inventèrent pour leurs enfants des noms, puis il essaiera de déterminer le sens de ce nom, en étudiera l'histoire, les évolutions, les variations de forme, d'orthographe et de signification, les composés et les dérivés éventuels, ses applications etc... Et cette étude est passionnante car il est prenant de chercher à connaitre l'origine de son nom. Et le public s'intéresse avec juste raison à ces questions de langue, d'étymologie, de sémantique, aux travaux sur les langues dites régionales, notre folklore, nos beaux et si vieux noms de lieux....Et puis il faut avouer que les noms propres, dignes d'une majuscule, présentent un grand intérêt linguistique. Témoins d'âges révolus, fossiles présents de langues ou parlers disparus ou en voie de l'être, ils permettent souvent de reconstituer des formes et types qui ne sont plus actuellement dans nos langues modernes. Enfin ces noms présentent un immense intérêt psychologique et social. Leur étude reconstitue une des trames de notre société, de notre civilisation, de notre histoire comme de notre géographie, c'est une étude pleine de nuances, de variations, en somme de poésie.
Résumé de la nomination humaine :
* La nomination est liée soit à l'aïeul paternel, c'est l'agnation, soit à l'aïeul maternel, c'est la cognation. Chez les hébreux comme chez les grecs ou les romains ce sont toujours les pères qui donnent le nom. Si les hébreux ne connurent pas le nom patronymique avant l'ère moderne par contre grecs et romains ont porté dans leur nom celui de leurs pères depuis des temps immémoriaux.
° Chez les grecs on aura par exemple Achille Pelidès, soit Achille fils de Pelidès, bien que la forme du suffixe ne signifie pas systématiquement cette qualité héréditaire; Socrate se nommait "Socrates fils de Sophroniscus du dème d'Alopece" ce qui indique que Socrate ne fut que son prénom, celui de son père constituant son nom et il résidait dans la circonscription administrative d'Alopèce (voir ce qu'on a dit en conclusion sur l'onomastique, cf. introduction générale). Ce sont aussi les grecs qui ont les premiers employé les diminutifs mais seulement pour les petits enfants, les esclaves ou les personnes de faible extraction. Souvent, curieusement, ces diminutifs étaient augmentés (!) en quelque sorte par des terminaisons bien connues comme -idion, -asion, -illos ou -inna, -ulla, -ion etc....Ils emploieront aussi des dénominatifs dérivés de noms appellatifs communs comme Philon qui vient de 'philos', l'ami, ou Leanena, de 'leo', le lion; des noms verbaux tels qu'Ida qui vient de 'idaeus, ideus', du verbe voir. Chez eux comme dans les langues latines, les surnoms (qui deviendront chez d'autres peuples patronymiques) sont soit des relations à des actes mémorables soit des particularités individuelles physiques, morales, psychologiques de ceux qui en étaient pourvus. C'est dans les surnoms que les grammairiens grecs classaient les noms appelés "gentilitia", des noms qui, alors, se tiraient du lieu natal, de la ville où l'on avait reçu le droit de cité (donc de citoyen) par exemple Denis le Thrace qui pourtant était natif d'Alexandrie et que l'on connait mieux sous le nom de Denis le Rhodien ! Bizarrement ils employèrent aussi une lettre de leur alphabet pour les surnoms; on peut citer Pythagore, le mathématicien bien connu que l'on surnomma Gamma, G, ou le célèbre astronome d'alors Apollonius que l'on appela simplement E, Epsilon, car il fit des recherches curieuses sur cette lettre qu'il disait "tourner avec la lune". Un mot sur l'évolution de l'alphabet...
° Elles tournent bel et bien: Il faut quand même remarquer que Apollonius avait un peu raison, non qu'il y ait eu une quelconque relation entre nos lettres et les astres bien que les astres semblent tourner en raison du mouvement perpétuel mais parce que la comparaison des alphabets depuis les premiers jusqu'à celui que nous utilisons ici montre effectivement que de transcription en transcription de peuple en peuple, certaines lettres ont bel et bien changé de dessin dans leur écriture, en raison du sens des écritures et lectures, non seulement le E mais aussi le A pour ne citer que ces deux lettres qui se trouvent dans notre nom AMIEL. La lettre A représentait une tête de bœuf à l'origine, les cornes sont de nos jours en bas; la lettre M a toujours été de cette forme, bien que plus réduite à l'origine, elle représentait les vagues de la mer depuis le hiéroglyphe égyptien, le mouvement, la vie, puis a servi de symbole de quantité, de nombre d'où peut-être sa signification de peuple en hébreu; citons le cas d'Abram dont Dieu changea le nom en Abraham, la signification changeant elle aussi, passant de "père de mon peuple" à "père de la multitude"; la lettre I a peut-être pour origine un hiéroglyphe égyptien dessinant un avant-bras et signifiant la mesure de la coudée, lequel, représenté couché, prit progressivement la verticalité; la lettre E est la plus intéressante car elle représente le hiéroglyphe dessinant l'homme, les bras à demi-levés et les jambes écartées, stylisé par la suite à l'extrême par les phéniciens qui n'en retinrent que trois lignes se détachant d'une verticale, leur lettre ouverte vers le bas comme l'homme sur ses jambes, vira sur la gauche puis se mit ensuite à regarder à droite !; la lettre L a aussi bien changé dans ces évolutions, elle dessinait un crochet ou une crosse chez les égyptiens puis un bâton de berger chez les hébreux, c'était donc un symbole de commandement, ce symbole dont je parle en plusieurs endroits qui a tant tourné qu'il s'est enfin écrit en une représentation d'un angle droit, ouvert à droite; le commandement joint à la rectitude pourraient-ils résumer le Dieu des hébreux dont il est le (résumé) du nom ?
° L'influence des stars : Mais revenons aux noms en général; chez les grecs puis chez les romains, tous férus de célébrités en tous genres, on ne s'étonnera pas de voir chez eux l'influence de la popularité dans leurs nominations; tout comme de nos jours, déjà on adulait beaucoup ceux qui gagnaient, que ce soit chez les politiques ou les athlètes mais aussi chez les généraux, en un temps où l'on n'hésitait guère sur les conduites à tenir devant certaines situations ou ambitions, sans oublier le pouvoir de la religion. C'est une dimension à considérer donc conjointement avec le système plus traditionnel de nomination, surtout chez les romains, si ordonnés en tout et chez les peuples qu'ils ont colonisé.
° Chez les romains : Les auteurs latins anciens avaient coutume de dire que c'est en raison du rapprochement initial entre latins et sabins que les individus prirent la coutume de porter deux noms, l'un leur étant propre à la naissance et l'autre donné en affirmation de ce rapprochement et pris donc chez l'autre peuple. Pourtant on sait aussi que les Albains, le grand peuple voisin de la future Rome avait préalablement déjà cette habitude; il n'y a qu'a citer Rhéa Sylvia la mère des jumeaux Rémus et Romulus qui appartenait en effet à cette famille de rois dont furent son père et son oncle, Amulius dont je ne manque pas de parler, le nom des Sylvii indiquant le caractère aborigène, forestier donc quasiment primitif et immémorial de cette famille sur la butte d'Albe. Les sabins aussi tout comme les étrusques semblent avoir eu également deux noms, du moins les rois, Titus Tatius tout comme Numa Pompilius ou les Tarquins qui furent de l'une de ces deux origines. Varron peut bien indiquer qu'alors les romains qui suivirent eurent l'habitude de porter plusieurs noms, c'était en quelque sorte la carte d'identité du romain; le minimum c'est trois, la "tria nomina", avec le prénom (peu important) suivi du groupe du "nomen" qui comportait le nom principal, celui de la gens (nomen gentilicium) suivi du nom de famille dans cette gens, puis on pouvait ajouter non seulement un surnom (cognomen) à titre d'honorabilité supplémentaire personnel (victoire, triomphe) ou lié à ses immédiats et honorables parents, mais un deuxième surnom (agnomen) qui pouvait par exemple provenir de la gens d'origine pour les adoptés, ou un ancien 1er surnom, les esclaves affranchis prenaient dans cette position le nom de leur ancien maître également. Ce principe de base a cependant énormément évolué avec le temps et les mille ans d'histoire romaine. On trouvera par ex. aussi des noms qui font une référence à la tribu à laquelle le porteur du nom appartenait; ce qualificatif (plutôt) n'avait rien à voir avec l'origine agnatique mais constituait alors une sorte de carte d'électeur joint à un titre de citoyen de telle cité, étant donné que ce nom de tribu dépendait de la ville où l'on résidait et que l'on votait suivant sa tribu. On connait plusieurs villes dont les habitants citoyens étaient affectés à la tribu Aemilia; un habitant de l'une de ces villes, dont je ne manque pas de faire une rapide recension, pouvait donc se faire nommer par exemple "L. Sergius Paulus Aemilia Rufus" nom dans lequel L. désigne le prénom Lucius, Sergius la gens Sergia, Paulus la famille (c'était aussi le nom d'une famille de la gens des Aemilii, on voit là que ce nom de famille n'était pas exclusif à une gens mais "cousinable") Aemilia est le nom de la tribu d'affectation (ici nom de la gens, au féminin) et Rufus est le surnom.
° La nomination, acte social romain : Enfin tout comme chez les grecs cette nomination était bien marquée; c'était un acte solennel effectué le jour de la purification du nouveau-né (le 8ème jour pour les filles, le 9ème pour les garçons) appelé la "nominalia"; il en fut ainsi jusqu'au règne d'Antonin le Pieux qui ordonna de nommer uniformément les nouveaux-nés au 3ème jour, devenant une coutume qui traversera tous les siècles jusqu'à nous (en passant notamment par une ordonnance du roi François Ier de 1549 puis par le Code Napoléonien). Précisons que le prénom n'était attribué qu'aux garçons et lorsqu'ils devenaient hommes seulement, vers 17ans, quand ils prenaient le vêtement correspondant, la robe prétexte. Les filles portaient automatiquement le nom de leur gens mis au féminin et complété si nécessaire par un simple numéro d'ordre ! (par ex. Aemilia Secunda).
° Evolutions depuis l'Antiquité : L'histoire passée l'antiquité, verra les hommes un temps revenir à un seul nom individuel, puis ajouter un deuxième nom, pris de diverses façons, le prénom revenant à la mode avec le port du nom dit de baptême que l'église réussira à imposer; on verra en suivant le deuxième prénom devenir patronymique, souvent aussi c'est le surnom qui en fera office pour ceux qui n'avaient qu'un nom individuel. Bien entendu beaucoup d'héritiers du nom patronymique n'en seront pas satisfaits et voudront en changer; on peut comprendre ceux qui de nos jours se nomment (encore!) Lecul ou Bastard (bâtard).
Quoi qu'il en soit, le nom de nos pères, comme disaient les anciens, est un vrai trésor; voici comment Molière, dans "L'école des femmes" s'est moqué de ceux, qui, à son époque, et ils furent alors nombreux, parmi les bourgeois notamment, singeant les nobles qu'ils voulaient égaler, voulurent changer de nom :

"Quel abus de quitter le vrai nom de nos pères,
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères !
De la plupart des gens c'est la démangeaison;
Et sans vous embrasser dans la comparaison
Je sais qu'un paysan qu'on appelait Gros-Pierre
Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre,
Y fit tout alentour faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de L'Isle en prit le nom pompeux."

(=> pour une grande part d'après le "Dictionnaire historique de l'Antiquité" F. Noël, 2ème édition, Le Normant, Paris, 1824).
Les études actuelles sur la nomination :
Il est donc devenu évident que la nomination et ses méthodes jouent un rôle fondamental dans la structuration des personnes et des sociétés. Nommer c'est signifier l'appartenance à une ou plusieurs entités, sociales, familiales, lignagères ou encore professionnelles et c'est donner tout autant à chacun la faculté d'y affirmer sa singularité et de la faire reconnaître, de marquer son rôle social ou une quelconque position hiérarchique. Souvent le nom renvoie bien sûr à une histoire onomastique et/ou généalogique, comme aussi à une aire géographique d'origine, plus ou moins déterminée. L'étude des noms s'avère donc un moyen de pénétrer et de comprendre la complexité des sociétés et leur évolution dans le temps et l'espace, vaste domaine des sciences humaines. Les ethnologues comme Lévi-Strauss (1962) ou Zonabend (1977, 1980), les historiens comme Jullian(1919), Bloch (1932) ou les sociologues comme Michel (1938) s'y sont attelés; tous se sont penchés sur le pourquoi ou le comment de la nomination, dans diverses sociétés et dans l'histoire. Et puis s'y sont également mis les généticiens.
Pour ces derniers venus des sciences dites exactes, le nom est un analogue du gène, dans la mesure où le nom se transmet de génération en génération par le père, tel un gène du chromosome Y, avec l'intérêt supplémentaire de présenter un polymorphisme très élevé. Dès la fin du XIXème S. Darwin (1875) ou Watson & Galton (1874) ont été interréssés par cette information patronymique et au XXème S. de nombreux chercheurs ont élargi ces études patronymiques dans le domaine de la génétique des populations, sur leur structuration et sur les flux migratoires qui les traversent de plus en plus, rejoignant en cela les travaux des démographes.
Ces derniers ont focalisé leurs études sur la question des origines dont témoignent les nombreuses et récentes études de l'anthroponymie médiévale impulsées notamment lors des Rencontres d'Azay-le-Ferron par Monique Bourin (1990 - 2002) et poursuivies depuis.
Et sur un sujet aussi vaste que l'anthroponymie, il serait encore vain de prétendre à l'exhaustivité...
(=> D'après l'introduction de "Patronymes et démographie historique" de P. Darlu in Annales de Démographie Historique 2004/2 (n°108) p.53).
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