LA CONNAISSANCE (APPROXIMATIVE) PAR LES NOUVEAUX MUSULMANS DES TRADITIONS MONOTHEISTES ANTERIEURES :
On sait que le Coran livre saint des musulmans reprend en les intégrant les traditions religieuses antérieures concernant le monothéisme de la région proche-orientale où il a éclot au VIIème S. La connaissance du Livre saint passait beaucoup par un enseignement oral dans les premiers siècles de sa diffusion. Des prêcheurs de rue ou narrateurs populaires appelés "qussas" parlaient de toute cette suite de traditions, ce qui ne plaisait pas tellement aux "ulema", les docteurs de la loi coranique veillant à son respect, qui en condamnaient la pratique. Ces discours publics narrant les livres saints des trois religions surtout du Coran mais aussi beaucoup de la Torah et un peu de la vie de Jésus furent quelquefois mis par écrit. Ce nouveau genre littéraire qui fut nommé en arabe "Quisas al-Ambiya" fleurit au Xème S. dans le milieu arabe; on y parle beaucoup des prophètes des trois religions. L'occident a traduit ces récits par le mot 'contes'; comme les fameux "Contes des Mille et une Nuits" on a gardé aussi par ex. "Les Contes des Prophètes de Al-Kisa'i" écrits par Muhammad Ibn Abu Allah Kisa'i publiés en anglais sous le titre "The tales of Al-Kisa'i" (translated by W. M. Thackston Jr., Lib. of Classical Arabic Literature, vol. 2, Ilse Lischenstadler Ed., Boston 1978).
Bizarrement la traduction anglaise cite un curieux "King Ammiel", un roi donc qui aurait vécu du temps du prophète Elie. Elie fils d'Asasiah, fils d'Eleazar, fils d'Aaron, fils d'Amram selon la traduction; selon la Bible Elie vécut après la mort du roi Salomon, au IXème S. avant notre ère. Mais aucun roi Ammiel n'est connu, ni à cette période ni plus tard. On connait seulement deux Princes Amiel dont le plus ancien est celui qui avec les onze autres princes des Douze Tribus alla inspecter la terre de Canaan sur ordre de Moïse (XIIIème S. av. J.C.); l'autre étant Simon Macchabée, titré Sar-Amiel, le Prince du 'peuple de Dieu', 1er roi de la dynastie des Hasmonéens qui vécut en revanche bien après, au IIème S. av. notre ère et à propos duquel le livre biblique des Macchabées ne cite aucun Elie de ce temps. Pour quelque rapport avec le prophète Elie, on ne trouve un tel nom que dans l'Apocalypse de Zeroubavel avec le Messie Ben Amiel dont est seulement prédite la venue, vision de quelques siècles antérieure à l'existence de ce conteur elle aussi.
Du conteur on ne sait pas grand chose par ailleurs; ni vraiment quand il vécut ni qui il fut; l'identification de celui qui fut un maître-conteur fait toujours l'objet de controverse et demeure obscure; un travail doctoral récent de A. Schussman comparant ses écrits avec un travail de la midrash juive du VIIIème S. conclue que ce peut être une œuvre du grammairien Ali Ibn Hamza. Mais ce texte est valable et intéressant pour la vision qu'il offre de l'Islam populaire dans ses débuts.
Alors donc nous voici dans ce conte avec un passage qui nous intéresse : Un roi juif nommé Ammiel qui est présenté comme le plus grand de leurs rois de plus, ne le confond t-il pas avec le roi David, son beau-fils ou Salomon son petit-fils?, ordonne que l'on se saisisse d'Elie le prophète (c'est bien de lui dont il s'agit), et qu'on l'amène devant lui; il fit disposer aussi au même endroit un chaudron plein d'huile. Il dit à Elie "Rétracte-toi sinon je te ferai jeter dans l'huile bouillante". Là on peut voir que le conte mêle une certaine vision des temps apostoliques chrétiens à la place qu'eut à se faire Dieu un millénaire auparavant dans la société hébraïque antique. "Oh feu, déclara Elie, je chanterai ta louange avec la permission de Dieu !". Suivent quelques interventions surnaturelles puis, enfin la propre voix divine se fit entendre : "Il n'y a de dieu que Dieu seul, et il n'y en a pas d'autre qui puisse lui être comparé : Elie est son serviteur et apôtre." Voilà une citation mosaïque évidente prêtée curieusement à Elie mêlée au dogme bien connu de l'islam. Lorsque Ammiel apprit cela, il donna tout ce qu'il possédait comme une offrande, abdiqua de son trône, enfila un vêtement de laine et suivit Elie dans sa religion, oubliant ses croyances antérieures, se convertissant d'une façon miraculeuse à la manière des premiers chrétiens. Voilà en tous cas un exemple d'un syncrétisme original fictif, un archétype de la fabrication de ces contes orientaux, des contes tout court finalement, bravant les unités de temps et de vie des personnes référencées, réunissant ici les vieilles connaissances bibliques comme l'histoire politique et prophétique ou les traditions régionales sans doute aussi. Ces créations sont le fruit des transmissions orales de ces conteurs qui, de génération en génération, furent peux soucieux de vérité historique et ce finalement dans un ordre assez logique et chronologique bien que totalement inventé. Le résultat produit une sorte de récit de science-fiction à rebours, d'une compilation uchronique rétrograde merveilleuse à l'exemple de ce qui sera fera au moyen-âge avec les légendes du Roi Arthur ou les gestes héroïques de personnages réels ou imaginaires tel Charlemagne ou Mélusine. Il se trouve d'ailleurs que nous aurons l'occasion de parler de ces figures historiques ou pseudo-historiques majeures dans le cours de ce travail mais en leur temps qui n'est pas ce moment.
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