"Heureuse la nation dont l'Eternel est le Dieu !
Heureux le peuple qu'il choisit pour son héritage" Psaume 33, 12

"Am I El" ? That is the question !": la langue des oiseaux permet de faire avec notre nom ce jeu de mots de langue anglaise avec en plus un détournement bien connu d'une question existentielle d'un célèbre dramaturge anglais; mis à part l'incongruité et la prétention d'une telle question le principal est plutôt pour nous d'essayer de savoir qui est El par quelques recherches de théonymie.

PETITE HISTOIRE DU NOM DE DIEU

Introduction :
Le dieu unique :
Comme pour tout être vivant - et ce dieu devenu unique est la vie-même puisqu'il est à l'origine de tout ce qui est - ce dieu au nom devenu impersonnel puisqu'il n'y en a pas d'autre, eut du temps de sa longue installation dans la vie et la pensée des hommes des noms différents recouvrant des conceptions propres aux peuples du Moyen-Orient des origines. Le nom propre générique de Dieu que les hommes lui donnent depuis des siècles a pour origine le latin Deus bien sûr qui lui-même vient du grec Théos. Ce dernier nom générique lui venant par contre sans doute de ce pater familias divin grec que fut Zeus.
Le dieu archaïque :
Donc si LE Dieu universel n'a plus besoin de nom particulier puisqu'il ne peut être confondu avec aucun autre étant seul (le nom propre d'Allah pour les musulmans semblant être une exception, ce nom rappelant fortement celui de El que nous verrons et qui est ce nom si répandu dans les noms théophores hébreux dont celui d'Ami-El), il n'en a pas été ainsi depuis toujours. Dieu a dû se faire un nom! Je veux dire par là qu'il mit de nombreux siècles sans doute pour parvenir à cette exclusivité divine et on peut dire qu'il est le fruit magnifique de toute une histoire religieuse dont les peuples multiples de la péninsule entre Afrique et Asie furent les artisans.
Nous avons vu que là fut édifiée la plus ancienne civilisation humaine; c'est dans ce creuset que sont apparues, après ou avec la domestication des animaux et l'agriculture, la sédentarisation avec les premières cités, les sociétés organisées et où fut surtout inventée l'écriture avec laquelle l'histoire peut enfin commencer. Les vieux mythes de la région concernant les origines humaines nous sont connus grâce aux écrivains antiques : de nos jours les nombreuses tablettes cunéiformes que nous avons pu retrouver de ces temps si lointains, notamment le fameux poème d'Atrahasis, relatant la création du monde, décrivent l'action des dieux Enlil et Enki (le futur Eyah vu plus loin).
El, le dieu parangon du Moyen-orient :
- Dans la Genèse biblique, on lit qu'Abram, le « haut père » mythique des Hébreux, rencontra dans le pays de Chanaan Melkisédek, roi de Schalem, qui était prêtre ou cohen d’El-Élion, père du Ciel et de la Terre. Ce dieu El, qui resta sous ce nom le dieu national des Beni-Israël jusqu’au temps de la sortie d’Égypte, et qui se présente dans le discours presque toujours accompagné d’un attribut comme El-Élion, El-Schaddaï, El-Kanna, El-Haï, ce dieu El paraît bien avoir été commun à toutes les familles sémitiques. On a découvert à Ras Shamra (Ougarit, donc en Mésopotamie) en 1988 une statue de ce dieu primitif El datée du XIIIème S. av. notre ère et voilà comment il est déjà représenté : c'est un homme âgé assis sur une chaise à haut et large dossier, portant sur lui un long manteau à bordure en ourlet; sur sa tête est une haute tiare et son visage bien qu'usé révèle une sculpture très fine et expressive se prolongeant par une longue barbe en pointe atteignant le milieu du sternum; il s'en dégage encore l'impression d'une grande sérénité, d'une certaine confiance mais aussi d'une puissance supérieure.
On peut voir dans les inscriptions grecques et latines de la Syrie qu’a publiées naguère M. Waddington la mention de monuments du culte de Kronos (dieu du temps), nom par lequel il semble que les Grecs ont aussi appelé El, connu également chez eux par le nom d'(H)élios; ce dernier, dieu de la lumière, du soleil a dans un premier temps été Hel en grec primitif puis Hélios en grec classique, selon l'une des formes bien connues du suffixe patronymique "ios" (cf. formation des noms individuels grecs). Bien que son culte ne soit pas très répandu à l'époque archaïque, il se développe à l'époque hellénistique surtout ...en Egypte bien sûr où il est assimilé au dieu solaire local, Ré, Amon-Ré (un temps court à Aton), et associé cultuellement à un certain Sérapis, ce qui demande un éclaircissement. Cette assimilation correspond via Apis l'égyptien à ce dieu des tablettes cunéiformes d'Ougarit nommé "Toru El" le dieu taureau dont les hébreux auront beaucoup de mal à se défaire, qui est déjà ce créateur de toute créature, père des dieux et des hommes. Le terme désignant ce créateur éternel, signifiant ce 'dieu de l'espace et du temps' soit "ôlam", acceptable universellement, réapparaitra d'ailleurs dans la Genèse biblique dans sa forme hébraïque "El Ôlam" pour le désigner pareillement (Gen. 21, 33) et plus largement curieusement par son pluriel Elohim, "les dieux" ! Une sorte de condensation en une seule entité qui mettra du temps à se réaliser chez les hébreux.
El est encore connu par un mythe hittite d'origine cananéenne, le mythe d'El-Kunirschag et Ashirat (El et Ashérat, son épouse) mais inintelligible malheureusement de nos jours. On retrouve El dans les colonies phéniciennes, à Carthage. Quant au caractère de l’universalité, El est dans le panthéon sémitique ce qu’est Djaus (le plus connu Janus romain, d'origine scythe selon certains) dans le panthéon indo-européen. L’idée de dieu se rend en assyrien par le mot Ilou, et le caractère idéographique de cette notion avait à l’origine la forme d’une étoile. C’était la plus haute divinité des Babyloniens, comme l’indique le nom de la grande cité, dont El était la divinité poliade, Bal-El ou Bab-Ilou (la Porte d’El). Dans l’Assyrie, il recevait l’appellation exclusivement nationale d’Assur. Les inscriptions le qualifient « roi ou chef des dieux, suprême seigneur, père des dieux. » Quelques rares monuments, appartenant tous à l’Assyrie, donnent à Ilou ou Assur une épouse, dédoublement de lui-même et sa forme passive. Que ce dieu ait primitivement désigné le ciel étoilé ou la lumière, toujours est-il qu’on lui a de tout temps attribué une signification sidérale, qu’on l’a assimilé à la planète Saturne; Bérose le nomme Kronos, et au dire de Sanchoniathon Kronos s’appelait El chez les Phéniciens.
Ainsi le dieu suprême des Beni-Israël était aussi celui des Chananéens. On pourrait citer également d'autres peuples archaïques comme les Térachites qui acceptent pour sacrés certains lieux vénérés par les habitants du pays, des arbres, des montagnes, des sources et des Beth-El, ou « maisons de El. », préfiguration des lieux de culte, de tous les temples ultérieurs des religions antiques puis modernes.
Lorsque les dieux... :
Ce sont les premiers mots du poème d'Atrahasis trouvé au milieu du XIXème S. en Mésopotamie (Babylone); on a là la plus ancienne relation d'un mythe ancestral qui sera repris ensuite non seulement chez les hébreux mais, entre-temps dans l'épopée du roi Gilgamesh notamment. Un autre poème débute par : Lorsque sur les montagnes de l'univers..., il est plus ancien et raconte les débuts de la vie avec les dieux An, Ashan et Utu qui sont là les dieux principaux mais ils étaient démunis et non rassasiés, ce qui les incita à créer les hommes pour produire et l'agriculture pour être nourris, version édulcorée d'autres mythes et de la révolution néolithique; l'agriculture avec l'irrigation, la culture et l'élevage que l'on retrouve encore dans un autre poème dont les premiers mots sont Quand le ciel eut été séparé de la terre....
Le poème d'Atrahasis fut mis par écrit en caractères cunéiformes au XVIIème S. avant notre ère par un jeune scribe du nom de Kasap Aya, très précisément en une année du règne de Ammi-Sa-Dûqa, lequel régna entre -1646 et -1626 (voir page sur le nom Ammi précédente); il y a bien le mois et le jour mais l'année n'est pas précisée. Le texte conservé est très long pour cette époque même si nous n'en avons plus que les 2/3. Il portait comme titre, selon la coutume, les premiers mots de la 1ère colonne (le texte étant rédigé sur 8 colonnes) : "Inuma Ilu" dans lequel on reconnait dans Ilu 'les dieux' soit 'Lorsque les dieux'. Il raconte donc un mythe qui remonte au moins, selon les spécialistes, au IIIème millénaire avant notre ère, ce qui n'est pas rien ! Il faut savoir que ces dieux étaient, en ce temps-là et dans cette région, séparés en deux catégories : les Anumaku au-dessus servis par les Igigu. Ces derniers cultivaient la terre pour les nourrir tous. Evidemment les Igigu protestèrent contre la pénibilité de leur statut et se rendirent au palais d'Enlil, le dieu qui avait le plus de pouvoir chez les Anumaku mais celui-ci terrorisé se barricade et fuit la rébellion (assimilation par analogie sans doute d'une propension bien humaine !). Un conseil de guerre se tient alors avec d'autres dieux dont plusieurs se rangeront du côté des Igigu (l'autre côté humain !). Enki le dieu en charge de l'ingénierie technique eut une idée qui fera florès : il proposa que Bêlet-Ili (= la matrice-dieu) appelée aussi curieusement...Mammi (!), la mère, la sage-femme des dieux, la déesse-mère 'produise' l'homme pour assurer dorénavant cette inlassable corvée. Pour cela Enki "immolera le Wé (l'esprit) afin de mélanger sa chair et son sang à l'argile" base à partir de laquelle Mammi sera alors en mesure de produire l'homme, sorte de procréation divine; par ce mélange à partir d'un part de divin se crée ainsi l'âme qui pourra survivre à la mort, car, jusque là, la mort...n'existe pas, si je puis dire. Les hommes sont (encore) immortels et ils se multiplient...Ils se multiplient trop ! Ce qui entraine un 'vacarme' progressif qui empêche Enlil de dormir; et moins de 12.000 ans plus tard dit le texte (encore une fois le temps des dieux n'est pas le nôtre !) Enlil finit par ordonner que "leur vienne l'Epidémie", toute une suite de fléaux divers et variés s'abattront sur les humains dont le dernier, particulièrement dévastateur, sera le Déluge universel bien sûr. Et c'est ici qu'Atrahasis nommé aussi "le super sage" humain, le futur Noé biblique, entre en jeu; il va, avec l'aide d'Enki, l'ingénieur comme on l'a dit, contrer les fléaux, les hommes continuant à se multiplier ! Enlil est très courroucé d'apprendre que ses fléaux divers n'ont pas d'efficacité à cause d'Enki, c'est ce qui le décidera à imposer le fameux Déluge. Enki, encore lui, va s'y opposer et commenceront alors grâce à ses connaissances les préparatifs de la construction du fameux bateau qui va sauver la vie terrestre. Le Déluge cataclysmique se passe, Atrahasis et sa cargaison sont sauvés, il donne un grand festin auquel prennent part les dieux; Enlil est encore et toujours plus furieux...un conseil divin va finalement imposer aux hommes la limitation de leur vie à ...120ans (repris dans la Genèse et nos scientifiques actuels confirment cette limite) ainsi qu'une part de stérilité des femmes accessoirement, les maladies et épidémies, famines etc.. ce qui est censé limiter la surpopulation; il semble quand même que la croissance humaine soit, depuis quelques décennies désormais incontrôlable. Qu'adviendra t-il du genre humain, on peut se poser la question.
Avec ce mythe nous avons en tous cas, plusieurs bases bibliques, non seulement de la religion mosaïque mais aussi chrétienne.
D'ENLIL et ENKI à EL et EYAH (YAWEH) :
- Mais pourquoi avoir insisté sur ce mythe? Avec les noms d'Enlil et Enki nous avons là les deux noms principaux archaïques, les deux facettes de celui que les hommes nommeront des dizaines de siècles plus tard simplement Dieu. Abram ('père d'un peuple') était censément un Sumérien, supposé né à Ur comme chacun sait. Il adorait nécessairement les dieux de sa région au sommet desquels se trouvait la triade divine Enlil, Enki, et leur père An : cet archaïque dieu mésopotamien An était dieu du ciel et seigneur des dieux; il sera progressivement supplanté, détrôné par Enlil puis par un certain Marduk dont j'ai déjà parlé dans la partie mythologie. Abram aurait reçu selon l'Ancien Testament l'appel divin à 75ans d'aller s'établir avec les siens en terre de Canaan et eut son nouveau nom, attribué par Dieu, d'Abraham ('père de la multitude'). Dans le texte relatant cela le nom divin suprême est toutefois El, c'est alors le dieu principal du panthéon cananéen et le dieu du temps, comme on l'a dit dans l'introduction. El est la forme cananéenne évoluée du dieu antique nommé Enlil en sumérien primitif, qui se transformera en Ellil en akkadien puis en El cananéen. Chez les sumériens il présidait aux vents, chez les akkadiens il était d'une manière plus générale, le dieu de l'air et du ciel. Enki parait, lui, être le Yahvé sumérien connu aussi sous les noms de Ea ou Eyah, c'est lui qui comme dieu des eaux, des rivières et des mers, aurait finalement sauvé les hommes du fameux Déluge comme on vient de le voir. On retrouve dans ces caractéristiques, attribuées cependant tour à tour à l'un ou à l'autre suivant les époques et les endroits, ce qui constituera l'essentiel du Dieu de l'Ancien Testament, coléreux, terrible, mais tout autant aimant et miséricordieux.
- On ne peut être surpris de retrouver El en terre de Canaan ensuite si l'on suit la Bible et les temps abrahamiques mais il est bien loin encore de son exclusivité. Le nom d'El est déjà trouvé dans les ruines de la bibliothèque royale d'Ebla, (civilisation connue par le site archéologique de Tell Mardikh en Syrie) et daté d' ~2300 avant notre ère; en 1928 fut trouvé à Ugarit, une cité ancienne proche du rivage méditerranéen dont on a déjà vu le nom, un texte le citant qui fut écrit environ mille ans plus tard, ~1300 à 1200 avant notre ère. Dans ce deuxième exemple le nom d'El est écrit dans une forme d'écriture cunéiforme inconnue au moment de cette découverte, qui sera datée finalement d'entre -1500 et -1200 et qui transcrit une langue proche du phénicien ou de l'hébreu ancien. L'on y voit que si l'on vénérait alors aussi un certain Yahweh, El reste cependant le dieu principal - et il est indiqué qu'il y avait une animosité entre ses deux fils (décidément ils sont bien humains ces dieux!) : Baal, dieu du tonnerre (souvenir lointain de ce que put être le Yaveh du pays de Shasou, voir plus loin) et Yam ou Yaw, dieu des rivières et des mers. El y est donné comme le créateur de l'humanité, l'humanité qui se dit "adm" en langue ougaritique, un nom très proche de l'Adam biblique tout comme de la 1ère syllabe de notre nom Am'iel, très vieil exemple de la syllabe 'am'.
Une déesse, est, tour à tour (!) épouse de El et de Yam, c'est Asherah, la parèdre féminine du dieu masculin qui, bien que souvent compris comme assez macho dans les religions, ces dernières étant calquées sur leurs sociétés, semble cependant, dans ces époques très reculées, son égal (mais le subterfuge pour la supplanter était en marche!). On sait qu'elle fut adorée dans la Palestine; elle est d'origine cananéenne et liée au culte de Yahvé jusqu'au VIIème S. avant notre ère, ce qui a de quoi surprendre. Le couple "Yhwh et son Asherah" est connu par ex. par des inscriptions sur des jarres à Kuntillet Ajrud (péninsule du Sinaî), dans les ruines d'une forteresse du Royaume de Juda datées des IX & VIIIème S. av. notre ère, preuve d'ailleurs qu'encore à cette époque là les hébreux de Juda n'étaient pas encore strictement monothéistes ! Asherah est quand même mentionnée pas moins de 40 fois dans l'Ancien Testament : elle est associée au dieu Baal d'origine phénicienne et dans le Livre des Rois, on voit le roi Josias, au 1er quart du VIIème S. av. J-C. "nettoyer" le Temple de statues d'autres dieux et notamment de la déesse Astarté, c'est elle, Asherah, c'est Vénus ! Dans ces mêmes ruines d'autres inscriptions sur des fragments de plâtre des murs mentionnent bien Baal et...El avec le même Yahweh !! Quant à Yaweh lui-même, encore au VIIème S. il était représenté en une statue, assis sur son trône !! Enfin, sur une tablette on peut lire, pour la 1ère fois après le terme Yw (Yaw, Yahweh) l'indication de "le nom du fils de dieu" : donc chez ces hébreux, Yahweh n'était pas un autre nom pour El mais son fils (parmi d'autres), Jésus n'était pas le premier, et il y a d'ailleurs une analogie entre le rôle donné à ce fils d'El et celui que se donnera Jésus. El était considéré lui-même comme le roi des dieux, le Zeus local, qui, d'Asherah eut pas moins de soixante fils divins, dont Baal, Astarté (avec qui elle se confond comme on vient de le voir), Anat, Shapsu déesse du soleil (un nom qui rappelle les Shasu encore?) ou Yerak dieu de la lune, ceux que l'on nommait les "étoiles d'El". Cette vaste famille constituant le Deuxième niveau divin (le Premier étant bien entendu celui du dieu El et de son épouse); il y avait ensuite un Troisième niveau des assistants de la famille divine et enfin un Quatrième composé des serviteurs, ce qui correspondra analogiquement plus tard aux Ciels paradisiaques (qui seront en réalité Sept et numérotés inversement quant à leur dépendance sans doute parce que vus depuis la terre) le dernier nommé ici étant celui des anges, messagers des dieux anciens puis du Dieu nouveau.
Les PARENTéS des HOMMES sont celles des DIEUX :
- Il faut bien voir donc que ces vieilles tablettes ougaritiques, oubliées depuis tant de siècles ont des échos évidents dans les plus anciens textes bibliques (pourtant assez neufs par rapport), ceux évoquant le grand dieu El dont nous portons en partie le nom pour ceux qui sont d'origine juive, ou le dieu Baal, et Yahvé, tous noms devenant imprononçables car l'ineffable, le tout-puissant ne pourra avoir de nom qui le définisse, finalement; il ne pourra être qu'évoqué par des superlatifs. Cela se retrouve cependant aussi dans les noms des hommes.
- Dans l'onomastique assyro-babylonienne et dans une époque toujours reculée, on relève de nombreux noms propres qui témoignent de la foi en la paternité divine. La relation personnelle entre l'individu et la divinité y apparaît très fortement. Bon nombre de ces noms ne comportent pas le nom propre de la divinité elle-même mais un terme de parenté avec elle : abu, ahu, mutu, ammu, soit le triptyque familial masculin père, frère, oncle. On a par exemple "Iaku-ammu" soit "que l'oncle soit ferme" l'oncle paternel s'entend, différent de "Iadih-halum", "que l'oncle (maternel) soit ferme", "Zimri-hammu" signifiant, lui, "l'oncle est ma protection". Ces noms pseudo-théophores, relatifs à la divinité, se retrouveront chez les sémites qu'ils soient araméens, phéniciens, cananéens, sémites du sud, tout autant que chez les hébreux et les assyro-babyloniens. Tous croyaient en la paternité de la divinité et la faisaient entrer par termes de parenté dans leurs propres noms. C'est surtout le qualificatif de 'père' que l'on recense mais frère et oncle sont aussi présents. Chez les sémites du sud on voit que cela est courant dès le Xème S. avant notre ère. De mêmes épithètes se rencontreront dans les textes religieux, prières, hymnes des anciens égyptiens. Les grands hymnes à Amon, Amon-Rê et l'hymne au soleil le nomment "créateur du ciel et de la terre, "créateur de toutes choses" ou encore "père des dieux et des hommes". (cf "Abba père" W. Marchel, Bibilical Institute Press, Rome, 1971).
LE VIEUX NOM 'EL' pouvait-il perdurer ? :
El est intégré comme on vient de le voir dans tout un ensemble de mythes qui lui confèrent une certaine consistance mais il va vieillir, du moins sa popularité va s'affadir; on trouve à ce propos ce curieux conte mythique : Au bord de la mer, le dieu El voit deux femmes "qui font monter l'eau" (puisent); en les voyant, sa verge se dresse mais il apparait qu'au moment de l'union probable, la voilà qui s'abaisse "Ô époux, époux, s'écrient-elles, ta verge est basse, la tension de ton membre languit !" cri de désespoir répété, mais il s'avère qu'El ne saura être nommé par elles 'époux' mais ..."père" car ces femmes sont en vérité les filles d'El, ses filles ! Voilà une bien étrange faiblesse sexuelle pourtant en accord avec la situation, alliée à un caractère de la vieillesse mais qui arrive à un dieu qui a quand même engendré tous les dieux, ce qui le fait tomber dans un rang secondaire même s'il continue à occuper le premier bien que ce soit désormais d'une manière fictive; voilà qui a soulevé la question de la théogonie sémitique dans laquelle celle-ci préfèrera des dieux plus jeunes dont le fringant Yahweh sans pour autant que l'on puisse affirmer qu'il fut écarté, voire mis à mort par l'un de ceux-ci comme le fera Zeus dans la théogonie grecque; en général les dieux ne meurent pas, y compris chez les hébreux antiques. Dans ce qui constitue encore pour quelques siècles le panthéon hébreu, El sera supplanté par Yahveh et cette histoire se répètera dans la théogonie pré-islamique des Arabes bien plus tard. El garde toutefois un pouvoir immense : il est la source des pouvoirs royaux, le roi régnant est dit "fils d'El" et il demeure de toute façon à jamais le "père de l'humanité", notre père, c'est sans doute pourquoi il nous est si proche, surtout à nous, les Amiel qui sommes apparentés à lui, étymologiquement du moins.
LE NOM DE DIEU DANS LES ECRITURES BIBLIQUES :
Les deux noms successifs de Dieu sont cités de très nombreuses fois dans l'Ecriture de l'Ancien Testament. Le Nouveau Testament, les Evangiles et les Actes des Apôtres le nommeront soit directement Dieu - étant donné qu'alors et depuis longtemps il ne peut être concevable qu'il y en ait un autre et qu'il est définitivement admis que son nom n'est pas prononçable (en partie parce que Dieu lui-même ne peut être connu)-, soit l'on parlera plus volontiers de Seigneur, Père pour le citer, ce qui règle le problème.
-1- Les hébreux le nommeront EL après Elohim:
- Elohim ou Aeloim ou Aléim : Parmi les premières fois où il est cité c'est bien au pluriel par ce nom; cette marque de pluriel correspondant au singulier Eloha qui peut être considéré comme véritablement le premier nom donné à Dieu, c'est sans doute un reste des références mythiques sumériennes ou égyptiennes. Encore au XIXème S. les linguistes spécialistes des langues anciennes dont Pierre Lacour (cf. "Eloim : les dieux de Moïse", Teychent, Bordeaux, 1839) emploie couramment la traduction d'Aléim dont il décortique la signification suivante : d'abord Al qui est le bélier, c'est le fort, la force (Genèse 14,18); en y ajoutant E formant Al-E c'est la force de Dieu créateur (Deut. 33,17), réunissant dans celle-ci les deux sexes (Genèse, 5); enfin dans Alé-Im ce sont les forces, les puissants, les dieux, distingués par le signe de leur 'nazaréat', leur coiffure (Nombres, 6,7) lequel ne peut être que le symbole d'Amon, les cornes ou masque du bélier. Amon était le 'démiourgos", le créateur du monde chez les égyptiens, l'artiste artisan. Ces Aléim sont finalement les puissances et les juges. Ce pluriel des origines fut en tous cas bien embarrassant à priori pour les traducteurs qui l'ont expliqué soit par un pluriel de majesté qui n'existait pourtant pas chez les anciens hébreux, soit par l'interprétation du fruit d'un conseil céleste entre Dieu et les anges à propos de la Création (le mythe d'origine réinterprété) soit, pour les chrétiens par une Trinité collégiale considérée comme totalement inconnaissable du temps d'El. Pour notre part nous remarquerons que par un heureux hasard des traductions nous avons là un parfait anagramme de notre nom !
- Dieu sera El : Quoi qu'il en soit du pluriel Elohim on ne garda que son singulier Eloha puisque Dieu est unique et de cet Eloha on n'utilisa que son diminutif El. Il est cité ainsi plus de 2300 fois dans les premiers textes de la Thorah, la Genèse particulièrement, le Livre des origines de l'Humanité et de tout ce qui est. A l'image de son pluriel, il signifie que ce dieu est "fort et puissant", c'est bien le moins pour celui qui est à l'origine de tout ce qui existe, particulièrement de l'humain, son chef d'œuvre. Souvenir encore des temps anciens sumériens ou babyloniens, et relatifs aux autres dieux des panthéons polythéistes - forme unique des premières croyances-, El est toujours cité avec en épithète une caractéristique, un aspect, vertu (ce qui faisait auparavant l'objet d'un dieu particulier) propre à la situation décrite, un peu comme le feront bien des siècles plus tard les musulmans avec leurs 99 attributs d'Allah, c'est un procédé nommé métonymie. C'est ainsi que tout à tour on parlera soit de sa Toute-Puissance par le nom de El-Shaddaï, celui pour qui, et par qui tout est possible (Gen.17.1), soit de sa Souveraineté comme le Très-Haut, El-Elion, le seigneur de toute créature (Gen. 14.18), soit de son Eternité dans El-Olam, celui dont l'existence n'a ni début ni fin, l'Eternel (Gen. 21.53), soit de sa Jalousie par El-Ganna, celui qui aime d'un amour exclusif son peuple comme un Père aime ses enfants, n'oublions pas ici la propre signification de notre nom Amiel (Exode 20.5), soit encore du fait qu'il est la Vie, El-Haï, le dieu vivant, celui qui est le maître de toute vie (Josué 3.10).
- El a été féminisé en "êlath", "êlah", déesse, au pluriel "êloth", déesses. Le dieu universel peut être aussi "benêy êlim", fils des dieux (Psaumes 29, 1; 89,7) ou " 'êl' êlim" dieu des dieux (Daniel, 11,36) ou encore "bn'l" fils du dieu El dans les textes de Ras Shamra. Au qualificatif déjà mentionné de El Shaddaï , le Très-Haut car ce mot signifie "des montagnes" (bêl shadî, seigneur de la montagne chez les vieux sémites mésopotamiens) correspond le féminin Ashérat, sa compagne, qui est, elle, "dame de la plaine". Les sémites occidentaux forgeront un nom plus emphatique représenté par l'araméen " 'élâh" qui correspond à l'hébreu "éloah" mais aussi à l'arabe " 'ilah" d'où provient d'ailleurs Allah par adjonction de l'article défini. Et c'est là le dieu par excellence, variante poétique d'El, mais c'est par le pluriel Elohim condensé en un seul être que, supplantant toutes les autres appellations, il deviendra l'équivalent du grec Théos puis du latin Deus, le seul dieu, Dieu.
- Le dieu national : Et c'est bien lui, Dieu, qui est déjà à Ougarit mais on est encore très loin du Dieu propre aux hébreux, loin du Dieu national juif: ce n'est qu'à la fin de la période mosaïque, alors qu'ils seront arrivés après l'Exode en Terre Promise où étaient restés leurs congénères du temps d'Abraham qu'il deviendra progressivement exclusif et propre à eux. Car c'est Moïse qui comprendra que le peuple hébreu doit avoir "son Dieu" propre avec son nom propre et exclusif. Un nom propre qu'il s'emploiera à quérir auprès de la divinité tout en le conservant pour les seuls prêtres destinés à accomplir les rites.
Ou comment quand même connaître les origines du nom de Dieu sans pour autant prononcer son nom, car même si les hommes des temps des patriarches, des Anciens du peuple hébreu le connaissent ainsi, c'est en référence à ces vieilles origines où il fut au plus au-dessus des autres dieux. C'est donc avec des temps nouveaux que Dieu va enfin faire connaître son nom.
- 2- El a pour nom Yahweh : Il est alors cité près de 6500 fois dans la Thorah et sa traduction générale est l'Eternel ou "Je suis celui qui suis", c'est le nom que Dieu lui-même révèle à Moïse lors de l'épisode du Buisson Ardent (Exode 3.14); il sera dès lors le Dieu qui conduit son peuple, comme un berger conduit son troupeau ou comme un père élève sa progéniture; il parlera dès lors à son peuple d'une façon vraie, unique, fidèle et juste. Nous avons vu que ce nom peut avoir pour origine soit Yw dieu du tonnerre du Pays de Shasou soit Yaw dieu des eaux dont nous venons de parler venant du Pays de Sumer. Les deux nominations divines depuis le lointain Elohim ne fusionneront véritablement qu'à la fin de la période monarchique, soit au VIème S. avant notre ère.
Comment ce nom Yahweh est-il parvenu chez les hébreux ? Il semble qu'il faille trouver son origine au Pays de Madian, dans le Golfe d'Aquaba. Dans l'Ecriture, avant l'Exode, c'est là-bas que se réfugie Moïse enfui d'Egypte car il y avait tué un égyptien ! "dans le pays de Madian, situé près du camp de Yhw". Et curieusement c'est à cette occasion que Yhwh ordonnera à Moïse de retourner en Egypte pour délivrer ses frères hébreux (Exode 3,1 & 4,18). En Exode, 24 le texte biblique évoque la révélation de Yhw aux hébreux dans le Sinaï, peuple avec qui il fait alliance; le texte garde peut-être par cette traduction la trace d'un rituel où un groupe de Shasou/ Apirou se constitue par l'intermédiaire d'un médiateur (Moïse) comme "am Yhawh" (Exode, 19,20) soit "peuple ou parent, de la parenté de Yhwh", préfiguration d' "am(i)El", du nom de ce dieu guerrier, terrible, assimilé aux orages, à qui pourrait être attribuée la victoire sur l'Egypte, (c'est ce que signale Freud dans sa recherche sur Moïse, voir plus loin), c'est aussi ce que l'on voit dans Juges 5, 4-5 ou Habacuc 3,3, des attributs qui seront ensuite ceux de Baal. Ce groupe hébreu ou pas de Shasou (?), les Hapiru, avec Moïse aurait introduit ce fameux nom Yhwh chez les hébreux locaux d'ancienne installation en le plaquant en quelque sorte sur celui qu'ils connaissaient déjà. Ces Hapiru sont peut-être ce peuple "élu, médiateur entre Dieu et les hommes, voyant en lui celui qui leur attribuera la victoire sur l'Egypte". Une trace de cette rencontre divine se reflète éventuellement en Deut. 33, 2-5 où il est dit "Yhwh est venu du Sinaï. Il s'est levé sur eux de Séir...Oui, il aime son peuple ...." ('am i El). Le dernier verset semblant indiquer une sorte d'union entre les chefs du 'amYhwh et les tribus s'appelant d'Israël, il se peut donc que là soit la trace de l'ascension de El-Yhwh comme "Le" Dieu d'Israël, les hébreux devenant bien plus tard par là les juifs.
-3- On dira pour le nommer: "Adonaï" :
Le terme générique qui sera employé pour parler de "lui", puisque son nom sera imprononçable car Dieu ne peut être connaissable, est Adonaï qui se traduit par Seigneur. C'est toujours ainsi que les juifs nomment Dieu dans leurs textes; toutefois pour parler sans connotation religieuse de 'dieu', le commun emploiera en hébreu le terme de ...'elohim'! . Le nom divin devenu secret ne sera prononçable que dans quelques cérémonies religieuses, à voix basse, par les prêtres autorisés, dans le seul endroit de la cella du Temple, située au fond de celui-ci, la pièce insigne sans ouverture qui abrite l'Arche d'Alliance, annoncé ou signifié par le Chandelier à Sept Branches installé à sa porte, le 'Saint des Saints', l'endroit le plus sacré interdit aux simples juifs. Ce nom substitutif d'Adonaï semble lui aussi conserver quelques traces d'un passé, celui du temps de Moïse (Adon c'est Aton), où lorsque les hébreux étaient encore en Egypte, on y adorait aussi uniquement un dieu qui s'appelait Aton (voir pages suivantes), devenu Yhwh comme on vient de le voir. Enfin il se peut fort que ce nom d'Adonaï soit passé par sa forme au singulier d'Adoni chez les grecs qui en ont fait leur dieu si beau Adonis; oui je parle de singulier car il semble qu'Adonaï ait pu être lui aussi un pluriel souvent considéré dans les temps reculés comme un dieu désignant tous les dieux des vieilles peuplades du Proche-Orient, des termes comparables en somme aux termes d'Eloha (singulier) et Elohim (pluriel). En arabe le mot qui équivaut à Eloha est Ilah, un mot lui aussi singulier et indéfini, "un dieu", qui s'oppose à "Allah, "Le (seul) dieu".
(=> article de E. Dhorme (p. 5 à 18) "Le nom du Dieu d'Israël" in Revue de l'Histoire des Religions 1952 Vol. 141 n°1 (Puf); et pour cette dernière partie seulement "Le dieu Yhwh; ses origines, ses cultes, sa transformation en dieu unique" 1ère partie Cours de M. Th. Rômer du Collège de France).
DIEU CRAINT MAIS DIEU D'AMOUR SURTOUT :
Ce Dieu unique aux deux origines bien distinctes est d'une part un dieu terrible car il est fort, craint par les hébreux qui redoutent ses colères, mais c'est aussi par ses pardons, ses alliances, ses messages ou ses envoyés un dieu d'amour, de justice et de vérité : ces deux catégories de qualificatifs sont présents chez lui depuis toujours via ses deux noms : chez les hébreux, par Yahweh c'est son côté terrible qui transparait, par El c'est plutôt son côté aimant. El est le Créateur de l'Humanité, l'héritier d'Aton pour ce qui est de la justice et de la vérité et le dieu des origines d'Abraham, celui qui est Père des Hébreux. Si le nom Yhwh venait du désert du sud-ouest, El venait sans doute du sud-est, il était araméen, de la riche plaine de l'Euphrate, de Sumer, de la Mésopotamie et de Babylone. Dans une lutte religieuse entre les deux il semble que Yhwh devint le fils d'El, l'antériorité étant favorable à El, ou, si l'on veut la sagesse l'emportant sur la force, c'est aussi l'espoir analogue du fils de Dieu Jésus prônant la supériorité et la victoire de l'Amour sur tout ce qui peut séparer les hommes pour les chrétiens. Autrement dit cette dualité divine comme je l'ai déjà noté est présente en bien des points de l'Ancien Testament, et en considérant le Nouveau Testament, applicable aux notions générales du dieu de Moïse comparé au dieu de Jésus : Le dieu de Moïse est surtout puissant, coléreux, il punit son peuple régulièrement tout en étant régulièrement aussi un père aimant son peuple, le pardonnant et faisant Alliance avec lui; le dieu de Jésus et des chrétiens sera, plus de mille ans plus tard, essentiellement le dieu d'amour, de pardon, du rachat et de la Rédemption (définitive), un dieu bien plus proche de ses créatures, toutes ses créatures. En réalité je pense que c'est encore une fois avec beaucoup de temps que le dieu unique se découvre progressivement aux hommes : de multiple et héritier des vieux mythes, il est devenu unique par ses deux origines, puis s'est dépouillé de sa parure terrible pour devenir le seul dieu d'amour et non plus seulement celui des seuls hébreux puis juifs mais celui de tous les hommes. D'un simple dieu parmi les dieux adorés dans la région, il est d'abord le dieu principal des hébreux, puis leur dieu national, et enfin seulement le dieu unique, d'abord pour les seuls juifs puis de l'humanité. Cette véritable révolution progressive vers l'amour total et universel me semble constituer l'ultime dévoilement de sa parfaite nature, malgré ce qu'a pu écrire Pascal dans les Provinciales à propos de ce dieu caché qui pour lui ne se découvre pas de lui-même. Mais il est vrai qu'ayant baigné dans une ambiance chrétienne toute ma vie ma vision des choses essentielles de la religion monothéiste peut être faussée, que l'on veuille bien m'en excuser.
(=> d'après "El, dieu d'Israël - Yahvé, dieu de Juda" Dr. L. M. Barré, Biblical Heritage site internet).
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