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"Ço qu'es madur, granejo"
Proverbe cité par Frédéric Mistral : "Ce qui est mûr fait des graines" !

SAVOIR LIRE LES CHARTES ET DECRYPTER LES 'CODES' DE CETTE VIEILLE LANGUE :
L'occitan ou langue d'oc est une langue romane (basée sur le latin) mâtinée de celtibère (langue associant l'ibère au celte) et d'autres langues pré-latines (remontant au néolithique et même au mésolithique), qui s'est forgée précocement par rapport à l'autre langue de France, la (les) langue(s) d'oil, dans la moitié sud de ce pays. Les qualificatifs de différenciation oil - oc correspondent à la manière de dire "oui" dans les moitiés nord et sud de la France; lesquelles façons correspondent aux influences majeures que subirent les populations de ces deux zones bien distinctes au moment de leur naissance, dans le haut moyen-âge. En remontant au temps des plus anciennes origines des langues, c'est à dire en suivant les pérégrinations ancestrales des peuples migrateurs, il faut remarquer que le territoire de l'actuelle France correspond à ce titre au point de jonction européen des trois types principaux de ces langues, langues nordiques anglo-saxonnes au nord, langues d'origine asiatique à l'est et langues méditerranéennes au sud. Pendant que le nord eut à subir les pressions germano-saxonnes, le sud conserva précieusement l'héritage latin. Le passage progressif du latin à l'occitan s' est fait entre les VIIIème et XIèmes S. Parlée et écrite dès le très haut moyen-âge sur des bases essentiellement latines (les romains étaient là depuis -121 ne l'oublions pas) autant pour le vocabulaire que pour les tournures grammaticales elle fut une grande langue de culture de ces temps-là. Elle fut aussi appelée couramment provençal car son aire originale fut l'antique Provincia Narbonensa (et non pas la Provence uniquement). Il est très utile de la comprendre pour connaître les origines onomastiques des noms propres de cette aire qui s'étendra finalement de l'Atlantique à la Méditerranée et au sud de la Loire. Les toponymes traditionnels rencontrés dans cette zone allant du sud de la Loire aux Pyrénées tout comme beaucoup de patronymes sont relatifs à cette langue. Enfin cette langue, vu l'étendue territoriale qu'elle couvre, au moins 200.ooo km2 en France (auxquels il faut ajouter la région du Val d'Aran dans les Pyrénées espagnoles et la vallée d'Aoste Piémontais, en Italie) a vu s'épanouir beaucoup de dialectes locaux ou régionaux (suivant la topographie des échanges et les dialectes précédemment parlés). Ces dialectes expliquent les légères différences de prononciation et d'orthographe correspondant à ces parlers. Ainsi on aura des Amiel, Amiell, Amielh, Amiels, Amielz, Amier, Amiet, Ameil, Amell, Amelh...., suivant le lieu où seront trouvés les gens (et leur époque) portant ces noms patronymiques. De même pour les toponymes. Est-il utile d'ajouter que la langue occitane actuelle conserve ces dialectes et parlers, que sa graphie a retrouvé ses origines, permettant de lire les vieux textes qui nous sont parvenus de ce lointain temps où il était de bon aloi de parler la langue d'oc dans les cours seigneuriales non seulement régionales mais au-delà, d'écouter les troubadours chanter leur amour pour leur belle (amour chaste bien que d'un érotisme caché souvent!). Et cette langue fut tout autant celle du peuple; beaucoup seront sans doute surpris d'apprendre, par ex., qu'un simple laboureur ait déjà parlé couramment en ces temps supposés obscurs, au passé simple à bon escient
Toutefois les textes peuvent présenter quelques difficultés non de lecture mais de compréhension, difficultés liées souvent au fait que nous sommes bien loin de la société qui les a écrits et de ses 'codes' de vie. On a vu l'utilisation courante en occitan des termes "En", "N' " et "Na", que l'on nomme articles de courtoisie, pour désigner un homme ou une femme, sortes de Monsieur et Madame d'il y a plus de 1000 ans! La forme En est utilisée pour un nom masculin commençant par une consonne ou lorsque le nom qui suit en est détaché (ex En Peyre ou En Amiel); on trouve quelquefois la forme Em aussi (Emborrel par ex.). La forme accessoire N' est utilisée lorsque le nom masculin qui suit, sans en être détaché, commence par une voyelle, ce qui peut être le cas pour un Amiel (ex N'Amiel). Une même utilisation courante en toponymie s'en est suivie. On pourrait d'ailleurs décortiquer de la même façon ces qualificatifs modernes français (mon seigneur, ou sire, ma dame, de domna, domina).
Il en est de même avec la qualification particulière "Lo Don" (de dontz) si proche de "Dom" ( de dominus) mais qui est bien différent. Lorsque le nom d'un personnage est suivi de cette indication, il est à peu près certain même s'il n'en est pas fait mention dans le texte, qu'un membre de sa famille plus âgé que lui portait le même nom. Dans une charte de 1191 du Cartulaire des Templiers de Vaour (81, près de Penne d'Albigeois, terre d'un famille noble Amiel) cité par Ch. Portal ("Archives Historiques de l'Albigeois" n° C p 85 fascicule 1, Ed Cabié Albi 1894) on voit figurer parmi les témoins "Ram. Ameilz lo dontz" (Ram : Ramon, Raymond): dans l'appellation de "dontz" il faut voir un diminutif de donzel, mot venant du latin dominicellus soit le 'petit seigneur', le damoiseau en français, futur seigneur qui succèdera à son père, le fils non encore chevalier, un damoiseau auquel correspond le féminin donzelle dont on fera demoiselle en français. Dans une autre pièce du même recueil (n° IX p 97) on voit que le père de ce personnage (le seigneur, le don ou dom, abréviation courante de dominus) avait 2 fils, R. Ameil (même nom que son père, ce qui était courant, c'était bien le dontzel, le jeune seigneur en puissance) et Olivier. Apparemment dans ces textes en provençal (occitan écrit je le rappelle) "lo don" (dom en réalité) a 2 sens possibles: soit 'le seigneur' si le titre est suivi du nom de terre seigneuriale ou bien 'l'ancien' si l'expression n'a pas ce complément précisant le fief.
(=> pour la signification de 'don' : "Mélanges de philologie et d'histoire offerts à Mr Antoine Thomas" article de Clovis Brunel pp 72 à 74 1927).
Sur la REVOLUTION PATRONYMIQUE :
Il est un fait que les principes de nomination vont grandement évoluer dès la fin du haut moyen-âge car l'on va passer du nom individuel unique, le 'nomen proprium' à un nom double unissant ce nomen proprium au 'nomen paternum', le nom du père, procédé qui peut faire penser à la méthode antique latine romaine antérieure oubliée entre-temps. Au nom personnel qui sera le pré-nom, mis au nominatif donc, sera ajouté le nom paternel qui sera le nom patronymique, mis au génitif évidemment, tel que par ex. Aton Ameli désignera Aton, le fils d'Amelius. Cette méthode commence à se répandre au XIème S. Au XIIème S. le système devient général dans les pays méditerranéens et ne s'étend au nord qu'au siècle suivant. Grâce à cette nouveauté, relative si l'on pense à l'antiquité, un état-civil qui ne dit pas son nom se met en place et c'est toujours (à peu près encore) le nôtre. Il y est souligné le lien de filiation : "Au moment de se donner une identité sociale, l'individu associe le nom du père à son nom de baptême" (M. Zimmermann) car l'église là aussi pénétrera pour son compte le nouveau cadre mais plus tard que l'on ne le pense ordinairement toutefois. Bien sûr cela n'est valable que pour la filiation agnatique masculine; quel sort pour la nomination des femmes ? La relation de dépendance sociale va se refléter dans leurs noms car à leur nom unique personnel sera, en général, ajouté "une référence soit au père, soit au mari, voire aux deux" (F. Menant) et l'on en verra avec des femmes liées à des Amelius les formes multiples. Enfin pour ce qui concerne les aristocrates un nouvel élément vient s'ajouter après le nom patronymique à partir de la fin du XIème S. dans le sud, une référence à un lieu que l'on verra sous la forme bien connue de "de Pailherio" par ex. pour signifier un Bernardus Ameli seigneur de Pailhès en Ariège, enracinant le noble à son territoire de puissance d'origine ou principal, c'est le nom de lignage (cette façon de faire ne sera pas cependant propre aux nobles). Ce caractère supplémentaire se généralisera au nord environ un siècle plus tard également.
(=> d'après "Mentalités médiévales - XIème XIIème S." T. II Représentations collectives. H. Martin; PUF, Nouvelle Clio, Paris, 2015).
En résumé LE NOM C'EST QUOI ?
C'est d'abord un bien familial; puis par ses désignations complémentaires une affirmation du lignage agnatique, paternel à partir du XIème S. comme on vient de le voir. Puis vont s'imposer des outils de contrôle administratif et de cohésion familiale dans le patronyme et le nom de lignage ou le surnom pour beaucoup, c'est ce que l'on nomme la surnomination, entre les XII-XIIIèmes S. voire XIVème S. Enfin en marge se placent les sobriquets qui permettaient une reconnaissance directe et pratique.
(=> d'après "Anthroponymie et parenté" P. Beck in Actes du Colloque de l'Ecole française de Rome - 6-8 octobre 1994; vol. 226 n°1, pp. 365-381, édité en 1996).
LES NOMS D'ORIGINE ROMAINE et leur utilisation :
On peut lire dans les textes du haut moyen-âge des noms d'hommes comme Atticus, Claudius, Dalmatius ou Amelius qui semblent tout droit issus du répertoire de la prosopographie des IV - VIIèmes S. et constituent par là une véritable "romanité de choc" civile et religieuse c'est indubitable, toutefois parallèlement il existe des noms tout aussi romains mais ayant une vocation quasi-uniquement ecclésiastique comme Etienne ou Elie.
(=> "Catalunya y França méridional a l'entorn de l'an mil" X. Barral y Altet CNRS-Catalonia Généralitat de Catalunya Depart. de Cultura 1991).
D'AUTRES FORMES (RARES) pour AMIEL :
Dans le processus de transformation du latin en roman, des formes réussiront à s'épanouir quand d'autres y échoueront. Un ex. de ces "ratés de cuisson" qui n'a pas trouvé son public ni même son genre est sans doute AMELEZ. Cette forme est utilisée quelquefois dans les textes du moyen-âge. On a par exemple en français Amelez ou Ameil, chanoine de St Denis (la basilique au nord de Paris) en 1207, comme on a en occitan un Amelez dans une donation du XIIème S. du cartulaire de La Selve (dans le Rouergue) où il semble là indiquer l'épouse d'un Amel de Miramon.
Une STATISTIQUE de Fréquence du pré-nom AMIEL au moyen-âge :
Une communication de l'Abbé Galabert concernant la fréquence constatée des noms de baptême dans le Comté de Toulouse en 1271 fait apparaitre la rareté de celui d'Amiel, pouvant indiquer que celui-ci est déjà devenu, quasi-partout dans la région relevant des comtes toulousains, un patronyme. Il n'a trouvé que 4 prénoms Amiel alors que l'on voit, ne serait-ce qu'à travers les registres d'inquisition du Lauragais ou du Carcassonnais qu'il y a beaucoup d'hommes (et femmes) portant le patronyme Amiel (ou un dérivé). Le prénom le plus porté étant celui de Guillaume, trouvé 247 fois (!), parmi les notables enregistrés dans le "Saisimentum" ou "prise de possession" du comté par le roi de France, document précis qui a servi à cette statistique. On remarquera d'ailleurs que Guillaume est resté un prénom constamment porté jusqu'à nos jours (mais est devenu aussi un patronyme occitan, Guilhem) contrairement à Amiel qui n'est plus un prénom pratiquement depuis ce milieu (au moins) du XIIIème S. du moins ensuite fut-il très peu utilisé.
(=> d'après "Bulletin de la Soc. Archéol. du tarn & Garonne" T.XIX 1891).
Le nom AMIEL autour de l'AN MILLE en LANGUEDOC :
Au début du XIème S. le nom Amiel est encore très rare dans la région de Béziers et Agde, en Bas-Languedoc. Toutefois il y était déjà présent au moins à la fin du Xème S., c'est le nom par exemple d'un riche alleutier (paysan libre possédant sa terre) de Sérignan dont le testament est rédigé en 983 en présence du juge Ermenald. Ce nom Amiel sera aussi celui de l'un des exécuteurs testamentaires d'Ariman, un alleutier de la terre de St Thibéry à Pinet en 991 puis celui d'un souscripteur en 1010 à l' "amendatio" (amendement ?) de seigneurs locaux. C'est un exemple parmi d'autres de la présence dans les textes de ce nom en Languedoc à cette période clé.
En effet c'est une fois la fameuse terreur de l'An Mille passée sans funeste conséquence pour l'humanité que les noms de terroirs, de domaines, de lieux et d'hommes vont affluer dans les nombreux actes de ce nouveau millénaire, alors qu'ils sont relativement rares au IXème S et même au Xème. La documentation de plus en plus riche désormais permet déjà d'évoquer les premiers dessins de grands patrimoines aristocratiques, ecclésiastiques ou monastiques mais aussi celui de laïcs plus ou moins bien pourvus qui, souvent s'y rattachent, féodalité faisant nécessité. Les régions de la vieille Septimanie autrefois wisigothe et auparavant encore gallo-romaine offrent dans le temps long l'un des archétypes de civilisation proprement méditerranéenne, tout à la fois inscrite dans l'héritage de son passé romain très ancré et dans l'interprétation d'une "version méridionale de la société médiévale" selon l'expression de Monique Bourin (in "Villages médiévaux en Bas-Languedoc...." T. I; Paris, L'Harmattan, 1987).
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