LANGUE DES OISEAUX ET LANGUE OCCITANE :
- La langue des oiseaux :
On appelle « langue des oiseaux « toute langue fondée sur ce qui est entendu et non lu ; cryptographique et homophonique donc une telle langue va utiliser abondamment les jeux de mots tels que le verlan, les anagrammes, les fragments de mots détournés et reliés à d’autres, la symbolique des lettres. Souvent évidemment elle sera utilisée comme langue secrète, destinée à cacher ce qui ne peut être explicitement dit. Ce fut une langue d’initiés, occulte, liée à l’alchimie et à la poésie hermétique (cachée) jusqu’à ce que, au XXème S. elle prenne alors une dimension psychologique avec Jung et Lacan qui y virent un codage inconscient permettant d’amplifier le sens des mots et des idées. Sans aller jusqu’au langage de l’extase (même seulement mystique!) c’est plus ordinairement de nos jours un langage ludique : on peut citer par ex. la chanson provocatrice pour son époque de Serge Gainsbourg "Les sucettes" (1966) qui fut interprétée par une jeune innocente de nom de France Gall (du moins l'affirma t-elle), un incroyable hymne à la fellation qui, non seulement fut diffusé à la radio mais aussi télédiffusé par J-C Averty, un autre spécialiste du genre coquin, une chanson qui 'glisse' plusieurs références allusives à la chose, et au moins une homophonie, celle entre le prix des sucettes payées en 'pennies', mot anglais correspondant homophoniquement au français 'pénis', l'objet de la chose si je puis dire.
Pour notre nom, il faut bien sûr se reporter aux langues sur lesquelles cette langue « parasite » a pu trouver de quoi « faire parler ».
En français on nommera très longtemps les abeilles des « mouches à miel » ; curieusement ce sera l’occitan qui donnera leur nouveau nom d’abeilles au français, et à partir de ce mot miel seront créés des mots relatifs à sa douceur exceptionnelle comme le verbe amieldrir ou l’adverbe amiellement que l’on trouve dans les premières éditions du Dictionnaire de l’Académie Française. De trop nombreux Amiel nobles de robe ont adopté des "armes parlantes" relatives à la ruche et aux abeilles à compter de l'époque moderne pour ignorer cette relation symbolique. Sans parler des nombreux jeux de mots sur notre nom relatifs également à ce rapprochement linguistique (cf. par ex. la page sur Henri-Frédéric Amiel, dernière sous-page).
En espagnol où l’on trouve tant de toponymes en « -amiel » il faut savoir que ce produit est féminin, on dit « la miel «. Voilà qui facilitera dans ces deux langues romanes les jeux de mots sur notre nom. Vous trouverez, dispersées ici ou là dans les pages du wiki, diverses applications de la langue des oiseaux à ce propos.
Mais au-delà du simple amusement linguistique il se cache souvent quelque savoir derrière les sons : le double sens homophonique permet de raisonner comme de résonner, la symbolique du « double sens » invite à trouver le sens caché de la « mouche à miel » en ce qui nous concerne. De plus, en français, l'absence d'accent démarcatif (tonique) qui rend cette langue difficile à apprendre en raison justement des sens divers qu'elle peut donner lorsqu'elle est entendue, ouvre en revanche la porte à de nombreux jeux de mots, souvent conçus d'ailleurs pour retenir sa graphie ! En occitan, la langue cachée permettra de s’affranchir des foudres de l’inquisition lors de la Croisade contre les Albigeois, de se protéger de l’anathème clérical; par le double sens la communication devient possible sans éveiller de soupçons; les troubadours eux-mêmes l’ont utilisée abondamment dans ce que l’on nomme le « troubar clus » la poésie cachée, l’exemple éclatant concernant notre nom étant l’hymne occitan, le « Se canto » dont deux strophes parlent non pas des abeilles mais des amandiers et de leurs fleurs, leur blancheur immaculée ayant été l'un des symboles de la pureté des parfaits (voir ces couplets page curiosa III).
Et cette langue des oiseaux troublante, entendue (là aussi dans tous les sens de ce verbe) avec ses allusions, ses jeux de mots, de lettres, de formation des mots, des sons et sens possibles, a bel et bien à voir avec les symboles. Déjà dans l’Antiquité ce fut la langue des dieux; Diodore de Sicile, Virgile ou Diogène Laerce en ont parlé et bien avant le grec Platon. Il y a huit cents ans en Languedoc, elle est à l’origine de la gai-science des troubadours et de la plus vieille académie linguistique du monde, le Consistoire du Gai-Savoir de Toulouse (toujours vivant, c'est l'Académie des Jeux Floraux); plus près de nous il y a moins de 150 ans l’oeuvre mystérieuse à plus d’un titre de l’Abbé Boudet, curé de Rennes-les-Bains (11), sur une prétendue « Langue celtique … » dans laquelle il s'évertue (apparemment) à prouver que l'occitan a pour origine le celte via l'anglais moderne (!) va faire florès dans le même genre; ce prêtre cultivé s’inspira de l’alchimiste Fulcanelli et fut en lien avec le plus trouble Abbé Saunière autour du fameux Trésor de Rennes-le-Château qui fait tant couler d’encre depuis plus d’un demi-siècle, (+ de 600 livres publiés) en des écrits souvent hermétiques, très imaginatifs mais usant et abusant peut-être de la langue des oiseaux dans un but souvent mercantile!
Quel rapport entre cette langue d’apparence innocente et la langue symbolique ? Le symbole ne peut être saisi que dans une image (analogie, parabole) ou une correspondance (métaphore) selon la tradition hermétique et gnostique. Et en effet, le discours dans ce cadre détruit la dimension symbolique qui échappe à la raison. En soi le jeu de mots permet le mieux d’approcher la dualité paradoxale du symbole. Donc ces deux « langues » toutes deux cachées finalement, sont bien étroitement liées. Il est toutefois nécessaire de bien connaitre la langue de base utilisée et savoir qu’une traduction si fine soit-elle ne pourra restituer le double codage.
- La langue occitane et autres langues romanes :
Bien que j’en parle très précisément dans la partie Moyen-Age à propos de son histoire puis de sa redécouverte durant le XIXème S. j’ajoute ici quelques compléments concernant les origines du nom Amiel en lien avec cette langue spécifiquement romane à la fine saveur et qui, souvent n'est pas dénuée de quelques allusions à la langue des oiseaux. On peut remarquer tout d’abord que les noms occitans de l’abeille et de l’amande y sont très proches : « abelha » et « amelha » ; ces deux éléments forts du paysage méditerranéen et en rapport entre eux n’ont pu qu’influer non seulement sur la toponymie mais aussi sur la nomination des hommes; l’onomastique des uns comme des autres est assez riche à ce sujet (reportez-vous y, pour abelha on peut citer les patronymes Abelanet, Abeilh-é, -ou, -on). Ces noms sont aussi à mettre en relation avec le sens universel des syllabes 'ab' et 'am' (cf. page Amiel hébreux). Les poètes qui vécurent au temps de la splendeur de la langue occitane, ces troubadours du moyen-âge heureux du XIIème S., avant la désastreuse croisade contre les cathares du siècle suivant, ont parlé non seulement du « mel » le miel et de l’ "amelha" l'amande, mais aussi de l' "abelha"et de l' "amelher" qui en sont les producteurs respectifs; arrivant tous deux au printemps, annonçant les beaux jours tant attendus, en ce début printanier bien connu des poètes anciens comme modernes, le "Natureingang" comme disent les allemands; je cite plusieurs poètes occitans contemporains qui ont magnifié à travers ce temps cyclique, l'éveil à l'amour, dans la dernière partie de cette page sur les symboles. L'amour, qui, figurez-vous, avait quelque rapport lexicaux, au moyen-âge, non seulement avec l'abeille mais aussi avec l'amandier comme on va le voir.
° L'abeille, l'amandier, les poètes et l'amour :
La comtessa de Dia, la comtesse de Die, qui était une trobaïritz, une femme troubadour car il y en eut, fait dire à sa muse "...car plus m'en sui abellida / no fetz Floris de Blanchaflor..." (...car je suis plus amoureuse de lui / que Flore de Blanchefleur...); tout en notant que la graphie du mot 'abellida' correspond à cette marche occitane qu'est le parler, le dialecte du Dauphiné, contaminé par le français, il faudrait écrire 'abelhida' en occitan normalisé, verbe que l'on traduirait plus poétiquement par "énamouré".
Gaston Phoebus, comte de Foix et poète estimé est l'auteur supposé généralement de l'hymne occitan "Se canto" que l'on devrait écrire d'ailleurs "Se canta" en graphie normalisée. Il nous faut y revenir ici pour essayer de démontrer combien ce chant réunit tout ce que j'énonce dans ces lignes.
Pour ce qui est de l'amandier, d’après l’origine grecque si l’on estime que ce nom vient de ameleia ou amélès, il signifie 'l’insouciance', et il est vrai que cet arbre est insouciant des gelées à sa floraison très précoce, c'est sa spécificité; c’est bien ainsi que semblait vouloir se définir d'ailleurs le philosophe antique chrétien Amelius et à son époque de la fin de l’antiquité romaine ce qualificatif d’insouciant fut un « signum », un surnom marqueur qui a été en usage apparemment dans la partie occidentale de l’Empire soit en Gaule et Hispanie (Catalogne). Il se peut donc que cette racine soit passée de cette façon via le latin à l’occitan roman et en vienne à désigner les patronymes occitans Ameil, Amelh, Amelhes (comme aussi plusieurs toponymes languedociens), Amell catalan, surnoms dans lesquels les origines lexicales grecques oubliées auraient mué en s'affiliant à cet amandier et à ses fruits car très présent sous le climat méditerranéen mais ce n’est qu’une hypothèse de ma part. On peut tout aussi bien envisager la simple référence directe à l’amandier si commun dans le midi et en Espagne (almendra).
° Des dictionnaires du roman médiéval aux langues romanes modernes :
* Le Dictionnaire de la Langue des Troubadours (T. II, A-C) de F. J. M. Raynouard cite pour le mot Amelier, outre son synonyme Amell, l’origine d’amygdalus purement latine (l’amande) plusieurs extraits des troubadours dont celui-ci : « Preceguiers, ameliers ; Milgraniers, ameliers, son special » (pêchers, amandiers ; grenadiers, amandiers, sont spéciaux) des "Leys d’amors" (fol° 51 & 48), traité de rhétorique du toulousain Guilhem Molinier daté de 1356. Cette œuvre magistrale, véritable encyclopédie lexicale occitane, cite de plus, précédant tout juste amelier, le mot amandola, terme qui a un certain air de famille avec la mandorle italienne que nous allons voir et dont il donne l’un des synonymes, amella, l’amande bien entendu ! Là aussi on peut penser à une certaine langue des oiseaux appliquée à la vieille langue occitane comme à la langue italienne puisque ce substantif de mandorle qui signifie « en forme d’amande » est de cette origine linguistique et chargé symboliquement dans le christianisme médiéval.
* Le Lexique Roman ou Dictionnaire des Troubadours cite de la même façon les origines et applications pour les mots abelha (abeille) et mel (miel): abelha ayant pour origine le latin apicula ; elle est nommée pareillement en portugais et avec les variantes abella en catalan ou abeja en espagnol ; une seule citation : « lo plus dignes aucels del mon es l’abelha » (le plus digne des oiseaux du monde est l’abeille) ; "lo mel" par contre est plus largement cité : son origine est le latin mel ; c’est l’« abelha que fay lo mel », cette évidence est suivie d’une citation sur la saveur du miel du troubadour Arnaut Vidal, puis est notée la métaphore sur le miel : « - des paroles » ou « - sur la bouche » du Psautier de Corbie.
* Dans les langues romanes, en catalan et en portugais on dit aussi mel tandis qu’en espagnol, comme je l’ai noté, c’est la miel et en italien mele. On ne sera pas dès lors étonné de trouver pour le patronyme Amiel la variante occitane de Amel et Amell; de ce point de vue ces derniers n’ont rien à voir avec l’Amel du nord de la France (d'Amelius) même si finalement ces deux formes sont liées à Amiel par une onomastique différente. Et puis pour conclure je viens de lire qu'une maison d'éditions de livres pour enfants en langue d'oc nommée L'Ametlièr vient de naître et que le prénom féminin d'Amelha est à nouveau redonné (Le Vigan, 30) il y a quelques années : Cette langue née au début du moyen-âge sur le terreau fertile gallo-romain est bel et bien toujours vivante et compte "s'espandir" enfin à nouveau alors que le français et ses jacobins républicains tentent depuis plus de deux cents ans de l'anéantir ! Si vous en doutez relisez donc ce qu'a pu dire l'Abbé Grégoire à la tribune de la nouvelle assemblée nationale à propos des langues régionales, ces "patois" de la France profonde et arriérée, que la Nation se devait d'éliminer afin d'apporter enfin l'unification et la culture française à ce pays si divers et riche socialement. La civilisation avec ses principes dits "universels" ne voudra depuis qu'une seule langue officielle et obligatoire, celle parlée à Paris par les intellectuels et les lettrés, celle de Voltaire et de Rousseau. Il serait peut-être temps que cette France dite pompeusement "des Lumières" puis son héritière, donnant des leçons au monde entier depuis ce temps-là, s'applique à elle-même, sur ses terres continentales annexées et colonisées, ses propres principes.
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