SAINT EMILIEN DE LA COGOLA (CUCULLE) ou de TARRAGONE :
Cet Aemilianus du post empire romain, ermite chrétien des temps wisigothiques, reçut ce nom en référence à sa capuche qui se dit 'cogolla' en espagnol, et le monastère fondé en son nom et sur son tombeau prit ce patronyme vestimentaire qui, il est vrai, devait alors paraitre curieux. En espagnol donc il est connu sous le nom de San Millan de la Cogolla. Le monastère du même nom est situé au sud-ouest de Logroño et Najera, dans la province basque de La Rioja, au nord de la péninsule ibérique. A Najera passe le Chemin de St Jacques et les pèlerins avaient l'habitude autrefois de faire le léger détour pour venir se recueillir sur le tombeau de St Emilien.
- Sa vie nous est connue par l'évêque Braulio de Saragosse qui écrivit sa Vita Sancti Aemiliani vers 633 ou 636 en s'appuyant sur des témoignages directs de sa vie (il est mort en 574). Il n'y est pas parlé du monastère qu'il n'a pas fondé ni connu, ayant été un simple ermite, mais des écrits recoupés par des fouilles ont permis de penser qu'un monastère rupestre a existé assez tôt, si ce n'est pendant sa vie du moins aussitôt après sa mort, en sa mémoire; une mémoire double car Potania, moniale, l'a suivi durant toute sa vie d'ermite. Outre des sources sûres par le frère du 2ème abbé et le moine Armentarius qui recueillit les miracles du saint opérés entre 535 et 574, les restes de la 1ère église, contemporaine du saint, creusée dans le rocher en des grottes artificielles à deux étages communiquant par un puits, témoignent encore de son temps.
- Aemilianus nait en 473 à La Rioja, près de Bercero, non loin de Najera. D'abord berger, il est attiré à 20 ans par la renommée de l'ermite Félix et devient son élève à Castellum Bilibium, puis revient et se retire dans un ermitage des Dircetti Montis (les monts de la divinité antique locale Dercetio). Ces monts bien entendu changèrent de nom en prenant celui du personnage qui y vécut, la Sierra de San Millan; une haute montagne où il se serait installé, haute de 2130m porte de nos jours le nom de Pic San Milian. Il devient célèbre par cette vie austère bénie par Dieu qui fait pour lui tant de miracles, sa véritable sainteté vivante parvient aux oreilles de l'évêque Didimo, Didyme de Tarazona (Tarragone); il le fait chercher pour l'ordonner pasteur de l'église de Vergegio mais sa "charité excessive" dans l'utilisation des biens de l'église le fait "libérer" rapidement de cette charge dit pudiquement sa vita. Et il retourne alors à son ermitage, y construit un oratoire où il vivra jusqu'à sa mort avec un autre moine nommé Asellus. Pour subsister il aurait eu, entre autres sans doute, des liens avec un 'potens' du coin , un sénateur du nom d'Honorius qui aurait trouvé par là une bonne occasion de 'don ostentatoire' en échange de la 'purge' de sa maison d'un démon qui l'empoisonnait; en échange et pour l'en remercier, il lui aurait envoyé régulièrement des chargements de nourriture, c'est du moins ce que raconte Braulio dans la vita. Il meurt le 12 Novembre 574 à plus de cent ans.
- Le Scriptorium de l'Abbaye de San Millan, dont la construction commence peu après sa mort sans doute, devient vite très actif; en 664 est terminée la réalisation de la Bible de Quiso. Dans le siècle suivant, bien que les Arabes aient envahi la péninsule, le monastère continuera sa tâche scripturaire. On a encore des manuscrits de cette époque dont la fameuse Chronique de Sanctus Aemilianus.
- La Basilique dédiée a San Millan sera bâtie grâce à des maitres d'œuvre mozarabes et des dons de Garcia Sanchez, roi de Najera et Pamplona (Navarre) de 925 à 970. Elle sera consacrée par le roi de Navarre et le Comte d'Aragon Sancho Garces II et son épouse en 984. Cette basilique restaurée et agrandie au XIème S. suite à sa destruction importante due au calife Al-Mansur en 1002, nous parviendra dès lors intacte; y compris les grottes primitives du VIème S. Trois reines de Navarre y sont inhumées.
- Les Gloses AEmiliennes représentent les plus anciens textes en langue espagnole; ces pages manuscrites reliées ensembles en des cahiers sont ce que l'on appelle des 'Codex'. Plusieurs codex linguistiques originaux sont connus pour l'espagnol. L'un par exemple est daté précisément du 13 Juin 964, d'autres sont de 975 ou 977. La date précise citée précédemment est indiquée par le colophon (note finale) du folio 172 recto du Codex Aemilianus 46, manuscrit d'un ensemble de textes encyclopédiques ou gloses réalisé au monastère même, d'où ce nom de Gloses Aemilianenses, Emilianenses en français Emiliennes. Ce fameux et précieux manuscrit est conservé de nos jours à la Réal Académia de la Historia de Madrid avec la côte BRAH46. C'est un manuscrit absolument essentiel à la fois pour la langue et pour la culture espagnole. Il est en effet la toute première 'encyclopédie hispanique' et renferme les premiers balbutiements du castillan, la principale langue d'Espagne, avec un texte mâtiné à la fois de latin croisé de roman populaire (nommé romance), et de formes intégralement romances. Un peu plus tardif est le Codex Aemilianenses 60 (~975 ou 977) mais il est riche d'annotations, d'explications.
- La revue "Aemilianense" : c'est une revue annuelle internationale de philologie; rédigée en espagnol on y parle de la genèse et des origines historiques des langues romanes, des aspects relatifs à la langue espagnole spécialement; elle est éditée par la Fondation de San Millan de la Cogolla.
- Un saint militarisé :
Le monastère va se trouver pleinement intégré au royaume de Castille. On verra Aemilianus intervenir aux côtés de St Jacques de Compostelle lors de la bataille de Clavigo en 934, qui voit la défaite du calife Abd-Al-Rahman face au roi de Léon, Ramire II. Une intervention miraculeuse qui sera reprise dans sa "Vida" réécrite au début du XIIIème par Gonzalo de Berceo.
- Les reliques de St Aemilianus ont elles aussi une histoire riche :
* En 1035 les nouveaux moines bénédictins font réaliser un reliquaire d'argent; puis en 1054 un nouveau monastère dénommé Sta Maria de la Real est fondé et l'on voulut y voir tranférées les reliques du saint. Le moine Fernando raconte, 160 ans plus tard dans sa "Translatio Sancti Aemiliani" que, lors de cette translation, le reliquaire quittant sa vallée se dressa telle une pierre immobile et les hommes du roi durent faire face à la population armée qui ne voulait pas de ce transfert. Selon d'autres auteurs ce sont les bœufs tirant le char qui refusèrent d'avancer à l'endroit où fut finalement construit le monastère de Yuso (du latin orsum, en-dessous; et en effet ce monastère est construit en-dessous de l'ancien). Notons que cette histoire de refus de reliques ou de vierges noires de quitter l'endroit où elles se trouvent est courante dans les récits d'invention de reliques, de miracles, au moyen-âge, justifiant la plupart du temps les lieux où se passent ces évènements de la foi.
* C'est à Yuso que sera fabriqué le nouvel reliquaire du saint vers 1067/1070 et ~1095 celui de son maître St Félix de Bilibio, tous deux en métal décorés de plaques d'ivoire. Ces originaux en ivoire ont été montés sur un nouveau cadre en 1944. Puis encore à Yuso au XIIème S. sera édifié le cénotaphe massif de plus de deux tonnes, en albâtre noir, avec le sépulcre en granit, dans la plus grande des grottes wisigothes. Au pied du monument seront sculptés plusieurs personnages masculins et féminins liés à la vie de St Aemilien, notamment Braulio et Potania. Le monastère sera reconstruit en 1500 et embelli au XVIIème S. La riche bibliothèque de 10.000 ouvrages sera rénovée en 1665; les bénédictins qui l'occupaient depuis 800 ans ne quitteront les lieux qu'en 1835 les laissant aux Chanoines Augustiniens qui y demeurent toujours, conservant et gardant ces lieux saints si chargés d'histoire et de culture.
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