DE LA REPUBLIQUE A L'EMPIRE ou DE SYLLA A AUGUSTE :
L'agonie de la République
C'est une très grave crise que la République va subir entre -133 (année de l'accession au tribunat de la Plèbe de T. Sempronius Gracchus voir ce nom) jusqu'en -44 (assassinat de César), c'est même sa lente agonie qui va se dérouler, en raison de plusieurs facteurs. Les institutions patiemment mises en place pendant près de quatre siècles ne peuvent plus répondre à la dimension prise par l'immense territoire soumis à Rome autour de la Méditerranée; un climat politique tout à fait inédit se fait jour parallèlement constitué par une incessante querelle de chefs armés aux velléités supérieures à celles des généraux passés de la république. Un dernier siècle fait de troubles, de luttes personnelles par l'intermédiaire d'influences armées conduisant à deux guerres civiles. La 1ère opposera le grand Marius, vainqueur de plusieurs peuples à Sylla (ou Sulla) à l'égo surdimensionné; la 2ème opposera Pompée et César tous deux à l'orgueil de la même trempe et ils en périront tous deux finalement.
Après la 1ère guerre civile : La dictature à vie de Sylla et sa suite :
Lors de la 1ère, Sylla parviendra à supplanter son aîné Marius et à se faire nommer Dictateur à vie par le Sénat en -82 (ce qui ne s'était encore jamais vu). En remerciement Sylla proclamera une constitution qui confortera le rôle des sénateurs, mais établira aussi une liste de proscrits qui le gênaient; pourtant quelques années plus tard, en -79 sans que l'on sache pourquoi, (malade ?) le grand Sylla qui avait tout en main se retirera en Campanie. Mais il était démontré que la stabilité de la République pouvait subir des entorses politiques. On ne s'étonnera pas de l'agitation que provoquera cette constitution chez ceux qui en souffrirent, les proscrits et leurs enfants en premier lieu qui perdirent leurs droits, ou ceux qui ont perdu leurs terres, tandis que certains autres la soutiendront : ceux qui en ont bénéficié et ceux qui voient en elle un renforcement du pouvoir sénatorial. On ne s'étonnera pas non plus que de nouveaux chefs rejouent la même pièce : ce sera en effet ce qui arrivera entre Pompée et César.
Mais avant de passer à la deuxième guerre civile qui se profile donc il me faut vous parler ici d'Aemilius Lepidus, père du suivant cité plus bas. Les attaques contre la constitution de Sylla commencèrent alors que celui-ci était encore dictateur; en -79 il préside les élections consulaires pour -78. L'un des deux candidats est M. Aemilius Lepidus; avec son futur collègue Catule ils sont apparemment des défenseurs de cette constitution. Pourquoi ? L'historien antique Salluste (in "Salluste" R. Syme & P.Robin, 1982) qui nous raconte l'ascension au pouvoir absolu de Sylla, indique comment il s'y prit pour assurer sa suite : Il soutenait la "causa nobilium", le droit 'naturel' des patriciens à gouverner, et, dans le but de restaurer la puissance de cette oligarchie mise à mal par les troubles civils il avait besoin de s'entourer de noms nobles pour diriger la cité, rehausser le prestige des 'fasti' et en particulier des membres de l'aristocratie ancestrale primitive. Et ils étaient peu nombreux ! On ne sera pas surpris d'y voir un Aemilius. Lépide qui est de la grande famille aemiliennne a résidé à Rome durant les années -80 et s'y est marié; rallié à Sylla lors du retour de celui-ci en Italie, il divorcera de son épouse. On pense qu'il fut Légat de Sylla pendant la guerre civile et qu'il s'enrichit lors des proscriptions, il aurait été logique qu'il soutienne cette constitution, pourtant ce ne fut pas le cas. Mais son élection comme consul juste après l'abdication surprise de Sylla satisfait le peuple romain; c'était commode et il ne pouvait qu'être payant d'exalter les "bene facta gentis Aemiliae" (les hauts faits de la gens Aemilia) comme le dit l'historien de la fin de l'antiquité Jordanès (in "De suasoris quae ad Caesarem senem de Re Publica inscribuntur comentatio" éd. de 1868) reprenant le célèbre mot de son prédécesseur Salluste (Ier S.). Rapidement Sylla meurt de mort naturelle. Dès sa mort Lépide va mener une politique contraire à l'héritage de celui-ci et c'est ce qui va séparer les deux consuls en fonctions. M. Aemilius Lepidus ne s'opposera pas au début aux nouvelles dispositions constitutionnelles mais va appuyer la réclamation des tribuns pour la restitution de leur puissance, puis fera voter une loi frumentaire; il poursuivra avec l'abolition de plusieurs dispositions qui touchaient les particuliers (exilés de retour, concessions de terres abolies, restitution de propriétés confisquées) et peut-être soutien à la restauration du tribunat. Son collègue Catule s'opposera à tout cela bien sûr. Aemilius reçoit alors la province de Gaule Cisalpine qu'il gouvernera par un Légat, Brutus (dont le fils sera l'assassin de César). Il hérite dans cette région d'une grande clientèle car c'est une province qui fut autrefois, un siècle auparavant colonisée par un ancêtre Lépide. Il soutient en -78 un soulèvement en Etrurie alors que le Sénat ordonne de le réprimer. Il joint ses forces aux révoltés, fait venir près de lui les enfants des proscrits (qui n'avaient plus de droits). Un sénatus consultum ultimum est alors voté par le Sénat et Catule est chargé de réprimer Lépide. Aemilius Lepidus marche alors sur Rome, espérant obtenir un second consulat (on est en effet en fin de mandat). Catule envoie Pompée comme Légat pour attaquer Brutus, légat de Lépide et Brutus tombe entre ses mains; il le fait assassiner de façon déloyale parait-il. Cette nouvelle arrive à Lépide, tout s'effondre pour lui, il s'enfuit en Sardaigne où il mourra un peu plus tard de mort naturelle d'après ce qu'on peut savoir. Nous pouvons passer à Pompée et César.
César expliqué par Sylla :
Pompée va être lui aussi un grand général. Devant le refus du Sénat de ratifier ses actions en Asie et de distribuer des terres aux vétérans de son armée, Pompée se retourne contre le parti aristocratique et forme le 1er Triumvirat avec César et Crassus en -60. César lui donne même sa fille en mariage et part faire sa ...Guerre des Gaules.
Un mot sur ce César dont le nom est toujours aussi célèbre de nos jours : Bien que de famille patricienne, les Julii, il est né dans le quartier de Subure qui est le plus malfamé de Rome. Arrivé à l'âge d'homme, déjà marié à Cornélie, il aura des démêlés vers -80 avec Sylla à ce propos, il suffit de lire Suétone pour tout savoir (Vie des Douze Césars - Vie de Jules César, traduit et adapté par J. Poucet; Nisard, Paris, 1865; Louvain, 2001); résumé du ch. I intitulé Jeunesse de César - Il est proscrit par Sylla : César avait seize ans lorsqu'il perdit son père. Il se maria avec Cornélie, fille de Cinna et eut Julie. Mais c'était du temps de Sylla et celui-ci voulut le contraindre à la répudier et, ne pouvant y réussir, il le priva du sacerdoce de flamine de Jupiter qu'il détenait depuis ses dix-sept ans, de la dot de sa femme et de quelques successions de famille; il le regarda dès lors comme son ennemi. César fut réduit à se cacher et quoique atteint de la fièvre quarte, à changer presque toutes les nuits de retraite, et à se racheter à prix d'argent, des mains de ceux qui le poursuivaient. Il fallut que les Vestales, et Mamercus Aemilius avec Aurélius Cotta, ses parents et alliés se réunissent pour obtenir son pardon. Sylla eut alors ce pressentiment de l'avenir en s'écriant devant ces derniers : "Eh bien, vous l'emportez, soyez satisfaits; mais sachez que celui dont la vie vous est si chère écrasera un jour le parti de la noblesse, que nous avons défendu ensemble; car il y a dans César plus d'un Marius"; on pourrait ajouter "et plus d'un Sylla" ! Le ressentiment ressassé durant tout son cursus honorum éclatera en effet lorsqu'il parviendra à obtenir les pouvoirs suprêmes et absolus, mais c'était encore un peu trop tôt.
Deuxième guerre civile - Accession et chute de César :
En -56 le Triumvirat est renouvelé et Pompée gouverne l'Espagne. Crassus meurt, César n'en a pas fini encore avec la Gaule. Après la période du dernier interroi de la république, M. Aemilius Lepidus en -53 -52, mis à cette fonction exceptionnelle en raison du fait que les élections consulaires n'avaient pu avoir lieu (troubles par des bandes armées de Clodius Pulcher), Pompée est enfin nommé seul Consul en -52; il doit combattre l'anarchie et la guerre des clans qui sévit alors à Rome. Il parvient à obtenir le soutien du parti des aristocrates dont les membres souhaitaient mettre fin aux ambitions de César et lui retirer son commandement en Gaule. César consent à abandonner son commandement (il en a quasiment terminé avec les Gaulois) et revenir à Rome si Pompée fait de même. Le Sénat insistait pour ne pas céder à ce chantage lorsque César osa traverser le Rubicon en -49, cette frontière naturelle qui marquait les limites de Rome et que l'on ne pouvait franchir en armes : Le Sénat était ouvertement défié, César défiait aussi les armées de Pompée; celui-ci se retira vers la Grèce. Mais César parvient à se faire nommer Dictateur en -49 toujours, puis il est élu consul l'année suivante; il prend alors le contrôle de l'Italie et de l'Espagne et va poursuivre Pompée dans sa retraite; il le bat à Pharsale, au nord de la Grèce. Pompée s'enfuit alors pour l'Egypte; il y sera assassiné le 28 Septembre -48. Enfin César avait les mains libres, un boulevard s'ouvrait alors pour lui; il fit de l'Egypte un Protectorat romain et offrit le trône à Cléopâtre, suite à des problèmes de succession. C'est en -47 qu'il vainc ensuite Pharmace, roi du Bosphore et il réorganise alors l'Asie Mineure. Il décrira sa victoire aux sénateurs par le fameux "Veni, vidi, vici" et obtiendra une seconde dictature. Outre ses réformes concernant le calendrier ou le pouvoir des sénateurs, il se fera attribuer, en toute légalité, des pouvoirs exhorbitants : la dictature doublée du consulat et ce pour dix ans en -46 puis A VIE en -44 !! Rejouant le mauvais tour de Sylla, songerait-il à restaurer la royauté qu'il ne s'y prendrait pas mieux. Mais ce n'est pas tout il devient aussi Pontifex Maximus et Préfet des Mœurs (mainmise sur la religion et sur les listes sénatoriales) et encore chef suprême des armées !! Il reçoit les titres d'Impérator Permanent et devient un tribun inviolable. On ne voit pas les parcelles de pouvoir qui n'étaient pas encore entre ses seules mains. C'est ce qu'il faudra bien nommer le "Césarisme" mélange d'absolutisme et de démagogie. Enfin cela ne passera pas, en tous cas pas si ouvertement; il sera heureusement assassiné le 15 Mars -44, aux fameuses ides de Mars par un groupe de sectateurs emmenés par Caïus Cassius et un certain M. Junius Brutus que l'on dit souvent son propre neveu. La république est sauvée de ce dictateur mais pas de la dictature pour autant.
Cet assassinat fit toutefois l'objet d'un procès intenté en vertu de la Lex Pedia, procès relaté par ex. par Appien (BC, 5, 203) pour lequel un chevalier romain du nom de L. Aemilius fut juge, en -43. Ce personnage était aussi décurion de la cité de Pérouse : lorsque Marc-Antoine assiégé dans cette cité se rendit à Octave en -40, L. Aemilius échappa au châtiment réservé aux membres de la Curie locale qui abritaient cet adversaire.
Un second Triumvirat est formé suite à cet assassinat retentissant par Octave, le futur Auguste, Marc-Antoine et Aemilius Lepidus en -43. Lépide y reçut la plus mauvaise part, le gouvernement de l'Afrique, Octave se réserva l'Occident et Antoine prit l'Orient de l'immense territoire romain. Comme précédemment cette administration tripartite était ratifiée par le Sénat et prévue pour cinq ans; elle fut même renouvelée pour une nouvelle période en -38 mais sur des bases nouvelles montrant un nouveau rapport de forces : Lépide eut son domaine réduit à une seule province en Afrique le reste passant à Octave et il fut finalement exclu de ce troisième triumvirat en -36. Le triumvirat capota aussi un peu plus tard en -32 et la source de tensions entre les deux protagonistes restants alla croissant, tout cela menant à une nouvelle et dernière Guerre Civile.
Un mot sur cet Aemilius Lepidus : Il est le fils du consul battu par Pompée, se nommant comme son père on le distingue en l'appelant "le jeune". Il fut un allié de Marc-Antoine durant cette guerre civile pour prendre la place ouverte par César. Lépide commanda alors la seule armée qui était à proximité de Rome. L'autorité de son gouvernement en Afrique fut usurpée par ses régents locaux, ceci expliquant son éviction progressive mais il essaya quand même de se défendre : Mécontent de cette mise à l'écart il fomenta une révolte contre Octave en -36 mais il fut battu et contraint de se retirer de la vie publique.
Et l'Empire commença :
Octave aura raison d'Antoine et parviendra à devenir le premier Empereur régnant sur toute la romanité sous le nom d'Auguste. Son long règne (-27 à +14) permit l'installation durable d'un nouveau type de gouvernement plus autoritaire que celui de la République; le "siècle d'Auguste" comme on le nomma vit s'établir sur son initiative la plupart des formes politiques et presque toute l'idéologie du régime comme du culte impérial; il ne faut surtout pas oublier la puissance que procure la direction de la religion. Ce grand personnage était le petit-neveu de César et il réussit là où les talents de César tout comme l'audace de Sylla avaient échoué. Il réussit à mettre en place une "royauté" de fait pour lui et ses héritiers au moins pour un temps. Son "principat" base de l'Empire vit fleurir, après les affres de la guerre civile, un grand apaisement qui permit par exemple l'épanouissement dans le domaine des arts et des lettres d'œuvres devenues classiques (en histoire, poésie, sculpture, architecture, grands travaux...). Il marquera à jamais l'histoire de l'Europe, l'Empire qu'il mit en place durera quand même cinq siècles; son nom de César se retrouvera même et encore porté deux mille ans plus tard par le Kaiser en Allemagne ou le Tsar russe tout comme le qualificatif d'Imperator dans toute l'Europe !
Un mot enfin sur sa descendance (je détaille dans la page suivante, ces Aemiliens parents d'Auguste) : Par un quatrième mariage (!) mais on ne sait avec qui, il a deux filles dont Julia Secunda (morte en +28) laquelle eut (on ne sait encore avec qui mais c'est d'après le nom des enfants un Aemilius Lepidus) un fils et une fille nommés M. Aemilius Lepidus (mort en +39) et Aemilia Lepida (morte en +36). Cette dernière épousera Drusus II (mort en +33); Drusus était le frère de Caligula et d'Agrippine la jeune; Agrippine sera l'épouse de Claude. La descendance impériale d'Auguste s'éteindra assez rapidement pourtant et d'autres lignées suivront jusqu'aux désordres des empereurs éphémères militaires du IIIème S. puis ce sera avec les poussées barbares de plus en plus fortes le partage de l'Empire, la montée religieuse et sociale du christianisme et son officialisation en 313 puis son caractère exclusif quelques dizaines d'années plus tard, le Vème S. voyant enfin piteusement les sacs de Rome et la chute de l'Empire d'Occident en 476.
En ce qui concerne la relève de cet empire formidable par leurs successeurs régionaux, en Gaule entre autre et la place des Aemilii plus particulièrement on peut voir par les généalogies assez complexes quand même de leurs lignées que l'on peut remonter assez loin depuis Charlemagne jusqu'à eux. En réalité c'est peut-être par besoin de légitimation que les carolingiens ont cherché de telles origines romaines; c'est une tendance de tous les temps ! Sans vous abreuver de détails, si l'on sait que Charlemagne descend de la lignée des Pépin de Herstal, on sait moins que Pépin Ier du nom fut l'époux de Itta, sainte par ailleurs, dont la bisaïeule appartenait à une illustre famille narbonnaise, les Ferréol de Narbonne. Cette famille des Ferréol dont le propre père de cette bisaïeule, Tonance Férréol II fut Sénateur de Narbonnaise de 479 à 517, descend quant à elle de l'empereur romain d'Occident Pétrone Maxime qui régna peu de temps en 455. C'est peu de choses si l'on en reste là bien sûr; mais ce Maxime se rattache par les femmes à la lignée des Constance, une famille qui produisit de fameux empereurs comme Constance Chlore et surtout son fils Constantin Ier. Oui d'accord me direz-vous mais où sont donc les Aemilii ? Il faut c'est vrai remonter encore plus haut. Les Constance descendent via Claude le Gothique (empereur de 268 à 270) et Domitien (empereur de 81 à 96) d'une lignée d'Aemilii Paulii. La grand-mère de Domitien se nommait Junia Lepida (morte vers +64) ; sa propre mère fut Aemilia Lepida. Cette dernière était fille de Lucius Aemilius Paullus mort en +13, qui fut Consul en +1. Il était le fils de Aemilius Lepidus Paullus mort en - 14 sénateur et de Cornelia. Enfin rattaché aux derniers temps de la République, ce dernier fut le fils de Lucius Aemilius Paulus consul en - 50, fils pour ce qui le concerne de Appuleia et de Marcus Aemilius Paulus. On le voit c'est par les femmes (et les mères donc) que les Aemilii des derniers temps pour eux, mais des premiers temps de l'empire, ont pu intégrer des descendances de grandes familles féodales européennes ou plutôt donc que ces familles sans grand passé ont ainsi pu en avoir un ! Mais si leur éclat antique se perd définitivement dans les méandres de l'histoire de l'empire, si leur généalogie s'éteint bien rapidement, si leur mémoire se dilue en Europe, il n'en reste pas moins leur nom, un nom qui fut porté par beaucoup d'autochtones; ce nom si porté pourra traverser les temps barbares, le moyen-âge et finalement, de siècles en siècles, transformé par les langues succédant au latin, il parviendra de génération en génération jusqu'à nous qui nous nommons Amiel ou l'un de ses dérivés!
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