"La Belle Aude" est, dans la geste de Charlemagne la bien-aimée de Roland; c'est surtout l'un des rares fleuves digne de ce nom de la Méditerranée française, le seul du Languedoc, un fleuve féminin qui a donné son nom au département qu'il baigne, le seul à porter lui aussi un prénom féminin. Ce qualificatif amoureux a surtout été repris par le romancier surréaliste audois Joseph Delteil comme titre de l'une de ses œuvres parue en 1930 chez l'imprimeur Joly de Carcassonne. Il vagabonde dans la région baignée par ses eaux, redécouvre ses paysages mais plus largement revisite l'Occitanie et la Provence, des terres imprégnées par les cultures grecques et romaines, les terres ancestrales de notre nom latin.
Mais au plus profond des racines de l'histoire de son terroir qu'allons-nous trouver ?
LES PAYS D'AUDE AVANT L'ARRIVEE DES ROMAINS
ou De la préhistoire à l'histoire dans les pays d'Aude : (en un très très court résumé!)
-1- Préhistoire : Le paléolithique :
On a retrouvé dans l'Aude sur les hauteurs de Carcassonne du matériel lithique dont des percuteurs d'~1.500.000 ans, ce qui donne une indication sur la très vieille occupation humaine de la région entre Pyrénées et Massif Central. Et puis plus près de nous, il y a quand même 450.000 ans voire comme cela vient d'être prouvé par une dent, 560.000 ans, vécut en limite du Massif des Corbières, l'homme de Tautavel, ce plus vieil européen, du côté de Tuchan, dans une grotte de la petite vallée du Verdouble entaillée dans la frange sud des Corbières maritimes, dont les restes sont donc exceptionnels; après des restes de l'homme de Néanderthal (entre -90.000 et -35.000 ans) constitués de racloirs et couteaux de pierre, on trouve des traces humaines moins rares dès le paléolithique supérieur (-50.000 ans) en un temps où le paysage était alors steppique, où l'on chassait mammouths, aurochs, rhinocéros mais aussi rennes et où l'on vivait toujours dans des grottes (Grotte de Bize-Minervois entre 60.000 et 40.000 ans), cohabitant avec l'ours des cavernes. Cet homme c'est alors l'homo sapiens (connu surtout vers -35.000 ans et jusque vers -10.000, notre ancêtre direct avec ses outils en os finement ciselés; dans l'Aude il est représenté par l'homme moderne de la Grotte de la Cruzade à Gruissan, sans doute le plus vieil sapiens d'Europe (30.000 ans). Il est encore prédateur, chasseur, cueilleur mais il commence à réaliser de notables progrès dans l'aménagement de son habitat, par ses gravures de la Grotte d'Aldène (Minervois) de même époque que les peintures de la Grotte Chauvet (Ardèche), ou celles, plus proches, de Niaux en Ariège et Marsoulas (31) ainsi que dans la technique de la pierre encore seulement taillée. Viendront les étapes solutréennes (pointes de flèches en forme de feuille de laurier), le magdalénien vers le 12ème millénaire et ses gravures pariétales, ici celles de la Grotte Gazel à Sallèles-Cabardés, au nord proche de Carcassonne (la plus vaste et la plus ornée du midi méditerranéen pour cette époque). Une dernière glaciation (pour le moment encore) et un changement climatique l'accompagnant font fuir les derniers magdaléniens et peu de temps plus tard, vers -6000 ans, ce sera après de plus courtes périodes le temps des premiers paysans du néolithique.
Ces courtes périodes du paléolithique puis mésolithique laisseront alors en effet la place à ce qu'il est normal d'appeler la "révolution néolithique" à partir du 5ème millénaire avant notre ère (~4000ans après le moyen-orient !). L'aventure humaine franchit alors une telle évolution (enfin) que cela aura des répercussions pendant plusieurs millénaires, jusqu'à l'âge des métaux. La référence audoise étant l'Abri de Font-Juvénal à Conques-sur-Orbiel (nord immédiat de Carcassonne) occupé du néolithique ancien à l'âge du bronze soit sur 6000 ans, site permettant de saisir selon les paléontologues les "pulsations de l'anthropisation" (évolution du milieu suivant l'activité humaine)....
-2- Protohistoire I : Le néolithique :
Les steppes s'effacent enfin au profit de forêts de bouleaux, puis de pins et de noisetiers, puis encore de chênes, d'ormes et de tilleuls. Alors qu'auparavant les hommes ont toujours été seulement des cueilleurs, des prédateurs et des nomades, ils vont se mettre à élever, cultiver, produire leur nourriture, cette révolution en entrainant une autre, celle de la sédentarisation. Leurs habitats précédemment provisoires vont devenir plus pérennes et l'on va passer de l'esprit de meute à celui d'une organisation sociale, la collectivité ou la communauté d'intérêt et de vie, la tribu. Il faut préciser quand même que cette révolution est parvenue jusqu'ici, aux confins de l'ouest de l'Europe, vers -5000 soit plusieurs millénaires après sa naissance dans le Proche-Orient vers -9000, via progressivement les terres des rives septentrionales de la Mer Méditerranée, l'évolution climatique y étant sans doute pour beaucoup aussi. C'est à la période chasséenne vers -3500 ou vers -2500 seulement, au néolithique final, qu'a lieu la véritable révolution pastorale et agricole définitive (le philosophe Michel Serres dit que nous venons il y a peu d'y mettre un terme avec la dépopulation agricole rurale du XXème S.). Enfin tout est en place pour un véritable peuplement, la machine est lancée, on passe alors à la pierre polie, les poteries - nouveauté technique nécessaire à la conservation des grains comme à la cuisine, plus tard à l'inhumation - qui sont de type cardial (du nom de la coquille avec laquelle on imprime des décorations sur les flancs de l'objet), c'est la civilisation en marche, un phénomène qui va s'accélérer, une accélération sans fin d'ailleurs, que nous pouvons encore observer de nos jours d'une façon hyperbolique. Va pouvoir venir ensuite l'âge des métaux, qui, en de courtes périodes en comparaison des très longues périodes d'évolution précédentes, va grandement apporter son lot d'innovations essentielles correspondant au travail de chaque nouveau métal.
-3- Protohistoire II : L'âge des métaux :
Le chalcolithique ou âge du cuivre (-2300 à -1500) qui clôt cette période cruciale s'accompagne de l'érection des incroyables mégalithes monolithes qui parsèment toujours le paysage audois (20 menhirs dont celui de Conozouls, le plus grand du sud de la France par exemple, 80 dolmens recensés, de nombreuses tombes collectives dont le beau tumulus de Crussols à Laure-Minervois ou le dolmen des Fées, en occitan Mourrel de las Fados, plus longue allée couverte du sud de la France datant du vérazien); période recouverte en partie par celle du bronze ancien (-1800 à -1500) où les armes mais aussi la production céramique se perfectionnent (le côté belliqueux semble éternel, voyez ce qu'en dit le philosophe René Girard); ici c'est la période du vérazien qui doit être notée, du nom d'une commune de la vallée de l'Aude (Grotte de la Valette à Véraza) et aussi des tous premiers habitats de plein-air ! Le bronze moyen qui suit (-1500 à -1250) confirme que l'élevage de moutons, bœufs, porcs, se conjugue parfaitement avec la chasse et la pêche (et ce semble toujours le cas) comme avec encore et toujours la protection des armes (ex. épée de Jugnes trouvée à Port-la-Nouvelle, haches à rebords, bracelets produits sur place). Vient le bronze final (-1250 à -700) où l'on verra les roues de char comme celles trouvés à Fa (haute vallée de l'Aude) et donc les premières routes, des poignards, de multiples traces d'habitats comme aussi de nombreuses sépultures. La clôture de cet âge final des métaux revient à l'âge du fer qui laissera enfin la place à l'Histoire.
-4- L'histoire pointe son cadre ici vers la fin de l'Age du Bronze :
Tout est disposé dès lors pour voir les plus vieux peuples connus dans la région : ce sont des ligures nommés Elysiques; ils sont là vers -900; on a leur trace avec leurs oppida de la basse vallée de l'Aude; ils commercèrent avec les navigateurs phéniciens, étrusques et grecs. Puis viendront les Ibères, vers le VI ou Vème S., ces voisins d'outre-Pyrénées vont se mêler à eux harmonieusement, apportant langue, écriture et monnaie. Ces ibéro-ligures furent prospères, vivant de pêche, du commerce dont celui du sel. Les celtes ou gaulois finalement n'arriveront qu'au milieu du IIIème S.! et ne coloniseront la région que pendant un peu plus d'un siècle et demi : ce sont deux peuples parents, les Volques Tectosages et les Volques Arécomiques. On les connait peu, souvent les sources historiques confinent au mythe comme à la légende, par exemple l'épopée des Tectosages en Asie où ils fondèrent Ancyre et pillèrent le trésor de Delphes à leur passage en Grèce, trésor fabuleux qui deviendra le fameux or maudit du lac de Toulouse, ville qu'ils ont fondé aussi. Ces peuples celtiques, des champs d'urnes (incinération des morts), emmenant leurs troupeaux l'épée de fer à leur côté, après leur épopée en Asie, s'installent en partie, vers -270-260 dans la région, les Arécomiques entre Béziers et le Rhône, les Tectosages entre Garonne et Orb; au-delà du Rhône, sur toute la côte et jusqu'en Italie sont les Ligures. Ces frustes vont mettre à sac la région, démolissant notamment les belles oppida; pourtant le commerce continuera, des peuplades celtes de moindre importance numérique s'installeront dans l'intérieur, dans la haute vallée de l'Aude, les Atacini (d'où le nom d'Atax et de la cité d'Axat au débouché des premières cataractes du fleuve que les romains nommeront Aldae), dans les Corbières les Redones (avec leur cité de Rennes) et la culture celte, gauloise, si étrangère aux mœurs locales et si peu pérenne, n'aura que peu de prise en raison de la forte hellénisation littorale ou ibérisation intérieure des populations. Quant à Hannibal, il semble qu'il n'ait fait que passer, avec fracas sans doute !
- Un mot sur les ibères : Très présents de ce côté des Pyrénées au moins à compter du Vème S. av. JC; c'est à cette époque que leur culture a commencé à l'emporter largement sur les influences grecques et étrusques (ligures). Les peuples locaux étaient encore attachés à l'héritage ancestral remontant à l'âge du bronze comme la langue, les croyances, la vie quotidienne ou les pratiques funéraires et ces coutumes étaient finalement assez proches de celles des ibères au contact desquels ils se révèleront très réceptifs. Il faut dire que c'est en Ibérie que l'on a localisé, dans le sud-ouest de la péninsule une civilisation de l'âge du bronze très en avance sur les autres peuples de l'Europe, celle d'El Argar (de - ~2500 à - ~ 1500) où certains voient déjà un 1er proto-état et aussi une 1ère "révolution populaire" qui la détruisit. Ce rapprochement naturel trans-pyrénéen sera indiscutable aux IV-IIIème S. selon ce que l'on constate pour l'écriture des contrats, qui se fera au détriment du grec (cf. Yves Solier). Pour ce qui est de leurs facultés commerciales on sait qu'ils échangèrent des produits autant miniers qu'agricoles. Carsac, la première Carcassonne des origines, au sud de l'antique Cité, contrôle cette économie, au contact des mondes grec, étrusque, phénicien et donc ibérique. A ce sujet, l'érudit local Gaston Jourdanne, dans sa "Contribution au folklore de l'Aude" (1899) se fait l'écho de la légende de Melkarth le géant phénicien: venu du Liban actuel, bien avant la fameuse guerre de Troie (dont une autre légende parlant d'Enée fait du héros grec un autre fondateur de la ville !) l'Hercule tyrien aurait "apporté la civilisation sur les rivages de la Méditerranée Occidentale et se serait arrêté au milieu de la plaine audoise, fondant Carcassonne dont le nom dériverait alors de Carthage (!), l'un des comptoirs phéniciens du rivage africain". Il est en tous cas certain que ces échanges de la haute antiquité expliquent beaucoup l'essor économique de la péninsule ibérique mais aussi son essor artistique dont témoigne l'emblématique buste de la "Dame d'Elche" (du V ou IVème S. av. J-C. trouvée près d'Alicante). Malheureusement cette belle civilisation nous échappe encore car nous n'avons toujours pas décodé son système d'écriture.
- Un mot sur les Volques : Ce sont surtout les Tectosages qui, de Toulouse leur capitale, viendront se mêler aux Ibères audois, s'installant dans la vaste plaine ouest-est mais aussi dans la vallée au sud proche de Carcassonne. Ils sont venus d'Aquitaine; César (et les auteurs latins avec lui) dira que ces Aquitains d'origine ne sont pas de vrais Gaulois, qu'ils n'avaient pas une langue et une apparence physique comparable aux autres peuples des Gaules mais bien des caractères les rapprochant des Ibères (ah ces gens du sud !). Dans leur territoire entre Garonne et Méditerranée ils s'inscriront dans le commerce des ibères, avec l'Ibérie et l'Italie dont notamment des échanges vinaires contre des esclaves, des métaux des mines locales et le bois pyrénéen par flottage sur l'Aude; ces échanges actifs bien avant la colonisation de -120 font penser qu'une alliance celtibère avec les latins est tout à fait possible et même vraisemblable.
- Les celtibères : Désormais celtisés mais demeurant plus ibères que celtes, pas très gaulois donc mais civilisés eux (!), ces celtibères vont s'installer un siècle environ avant l'arrivée des romains sur des mamelons bien situés et défendables comme à Pech-Maho, à Montlaurès, à Ensérune (basse plaine de l'Aude) au Mont-Milan (clin d'œil à notre nom avant l'heure ?!); on a trouvé à Cruzy au nord de ce territoire, une curieuse pierre gravée datable du Vème S. avant notre ère et comportant des signes d'une écriture de ces celtibères; ne connaissant pas leur langue, ce ne sont que des hypothèses mais il semble bien que l'on puisse y lire au moins deux noms, ceux de Kulesare et de son père Arkiteibas, on aurait donc là les deux plus vieux appellatifs humains du coin; les celtibères faisaient du commerce avec les grecs (installés à Leucate, nom d'origine grecque relatif à la blancheur des falaises) ainsi qu'avec les Ligures voisins; ces héritiers des ibères civilisés par les phéniciens et mâtinés légèrement de celtes Volsques commerçaient avec eux en Ibérie : des artefacts ibères ont été trouvés dans la vallée de l'Aude; Avienus dira qu'ils étaient belliqueux (quel peuple ne devait pas l'être ?) mais ces vieux audois étaient surtout parfaitement organisés, tenaient solidement leur territoire et veillaient à leur indépendance. Ils resteront longtemps ainsi dans le bassin des basses plaines de l'Aude et on les connait à Carcassonne comme près de Limoux (La Lagaste); les plus littoraux d'entre eux verront d'abord passer Hannibal se rendant en Italie batailler avec les romains au IIème S. av. J.C. via la voie héracléenne (voie mythique du dieu Héraclès revenant de Gibraltar, qui deviendra la Via Domitia des romains, la N9 française et enfin l'A9 européenne) puis enfin les romains qui les coloniseront sans aucune difficulté (en tous cas aucune trace de lutte armée n'a été mentionnée par les auteurs antiques, si cela avait été le cas, ils n'auraient pas manqué de relever une victoire certaine); il semble toutefois que leurs cités perchées furent détruites au passage d'Hannibal le barbare de Carthage, ceci expliquant peut-être cela sans compter ce qui a été dit plus haut sur le commerce avec Rome. Nous voilà prêts en tous cas à entrer de plain-pied dans la modernité...antique, via Naro (sans aucun jeu de mots), du nom des Neroncen, ces habitants de Montlaurès, qui sera la nom primitif de la future 2ème Rome, Narbonne.
Le géographe Strabon a bien confirmé une ibérisation des celtes venus dans la région conforme à ce qu'en ont dit César et des latins et non une celtisation des ibères. Diodore de Sicile précise d'ailleurs (Bibliothèque Historique V, 32-33) que les Celtes et les Ibères habitent la Gaule du sud vers -90 mais qu'ils sont alors en voie de romanisation, autre confirmation d'une intégration rapide (1/4 de siècle à peine après la victoire romaine à Valence) qui n'étonnera aucun historien de la région ou pas. Selon la plupart, on peut affirmer que la région du Golfe du Lion, qui porta le nom de Sinus Gallicus, la "courbure gauloise" pour Rome, était exclue du monde celte ou gaulois traditionnellement compris - des mercenaires de ce "golfe gaulois" furent d'ailleurs recrutés pour combattre les peuples gaulois par César ! - et personne ne s'étonnera que ces "marginalisés" des bords de la Méditerranée aient pu, sans grande difficulté, accepter ce que Rome apporta en premier en Gaule, la plus ancienne haute civilisation que l'on y connaisse. Dès -82 naîtra à Narbonne un grand poète de langue latine dont j'ai déjà parlé, Varron d'Atax, et un grand avocat romain, Votienus Montanus, vers le milieu de ce même Ier S. av. notre ère, surnommé l' "Ovide des orateurs". Les monnaies trouvées sur le territoire audois confirment quant à elles, faute de mieux, une circulation monétaire aux II et Ier S. av. J. C. autant à l'intérieur que sur la côte.
- Le nom d'Atax :
Le nom antique de l'Aude, ce fleuve majeur du Golfe du Lion eut un nom différent durant longtemps, il s'appelait Atax (d'où le nom du poète Varron qui naquit sur ses rives). Ce nom d'Atax lui viendrait de la dénomination antérieure d'Attakos que l'on trouve chez Héraclée de Milet, ou Attagus donnée par Avienus qui suit une source du VIème S. avant notre ère parait-il. La forme Atax sera courante chez les auteurs grecs ou latins postérieurs, de Strabon à Sidoine Apollinaire (qui meurt en 486). Certains enfin disent que les premiers colons romains de Narbonne étaient appelés Atacini, surnom effectivement appliqué à notre Varron audois. Le nom moderne Aude lui vient quant à lui du latin Aldae qui lui fut donné au haut moyen-âge et qui désigna parallèlement les pays qu'il arrosait, futur département de l'Aude à la Révolution.

Et enfin la civilisation nous parvint pourrait-on déclamer. Les romains vont passer les Alpes Transalpines pour civiliser la gaule chevelue et ils vont le faire en signant au moins deux actions d'éclat à partir de -122 ; la principale pour ce qui concerne notre nom étant due à Q. Fabius Maximus Aemilianus qui, par la magnifique bataille des "Monts Cémènes" en -121 vaincra les peuples gaulois des Allobroges et les Arvernes; c'est ce dont nous allons parler pour commencer.
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