PRESENCE DES JUIFS DANS LE SUD DE LA FRANCE :
- Cadre historique :
Les juifs du midi constituent les assises les plus anciennes du judaïsme français. Ils sont sans doute là depuis l'Antiquité; ils seraient arrivés selon certains avec les romains au IIème S. av. J-C. D'autres affirment qu'ils suivirent les phéniciens avec Didon lors de la fondation de Carthage, 8 siècles av. J.C ? ! Ce qui est certain c'est que l'Empire Romain a facilité les migrations autour de la Méditerranée. On a une preuve archéologique de leur présence, datée du Ier S. de notre ère mais aussi des témoignages littéraires autant juifs que chrétiens de leur présence précoce dès le Ier S. av. J.C., en Provence et en Languedoc. Au Vème S. seraient venus des juifs de Tolède et au XIIème S. le Languedoc a accueilli des juifs espagnols fuyant les invasions arabes des Almohades (Narbonne & Lunel). Ils sont bien installés enfin dans la région dès le haut-moyen-âge au IXème S. Ils ont apporté dans leurs valises un savoir ibérique important (littérature, médecine, philosophie) souvent d'origine arabe mais dont la source est probablement indienne, savoir qu'ils ont traduit chez nous. Longtemps à l'abri dans le midi ils n'en furent expulsés que lorsque le Languedoc passa sous la coupe des rois de France (1306 par Philippe-le-Bel).
- L'apport des juifs dans la société languedocienne :
La très célèbre et vieille faculté de médecine de Montpellier leur doit beaucoup. L'esprit remarquable de tolérance des peuples languedociens et provençaux qui ne se démentira jamais durant toute l'histoire de la région en fut le terreau : pendant la shoah même, les juifs furent plus protégés ici qu'ailleurs; on peut y remarquer un nombre élevé de 'Justes parmi les Nations' ; c'est une tradition dans le Midi au moins millénaire que de pratiquer la tolérance et l'humanisme. Et par-delà les persécutions périodiques des siècles les juifs du midi ont joué un rôle majeur de transmetteurs des richesses culturelles, scientifiques, littéraires du monde ibérique qu'ils ont côtoyé longtemps, où ils sont allés et d'où ils sont souvent venus (et revenus). Les relations avec les sépharades catalans par exemple se sont développées entre les XII & XVémes S. Les communautés se sont mélangées au fruit de toutes ces migrations nord-sud et sud-nord pyrénéennes, notamment à l'époque de la Croisade contre les Cathares, aux moments des lois d'exil de 1306 & 1322, jusqu'en 1391, date fatidique pour les juifs catalans.
Au milieu du XIIème S. les juifs andalous fuient les persécutions des arabes Almohades et viennent s'installer en Languedoc; par exemple le lignage de Joseph Kimhi, philologue et exégète biblique, qui arrive à Narbonne pour s'y fixer. Son fils David sera "le prince des grammairiens" et son ouvrage de lexicographie, le Shorashim ou Livre des Racines fera autorité. L'autre grande lignée de ces juifs est celle des Ibn Tibbon qui offrirent au judaïsme languedocien quatre générations de lettrés et traducteurs d'arabe en hébreu. C'est ce que put constater et admirer lors de son voyage un Benjamin de Tudèle dans les années 1160-1165. L'essor économique, la prospérité sociale, intellectuelle du Languedoc fut, on le sait par ailleurs, tout à fait remarquable au XIIème S., chez tous, et donc chez les juifs, dans toutes les composantes de la société méridionale, civile, religieuse, noble comme roturière.
- Leur rapports avec les Méridionaux :
La population juive que les autorités cantonneront plus tard dans les villes est alors essaimée encore pour un temps aussi bien dans les villes que dans les villages (voyez les toponymes audois), ce qui traduit bien l'ambiance régionale pour ce siècle fait de quiétude, de tranquillité, de tolérance réciproque. Ce fut je l'ai dit plusieurs fois, un bel âge d'or de la pensée, autant juive qu'occitane plus généralement (pensons au dualisme cathare par exemple). De célèbres controverses entre les tenants d'idées différentes purent y être organisées. Des Amiel juifs, ou chrétiens, ou juifs convertis, et autres convertis au catharisme...ont sans doute participé ou au moins assisté à de telles confrontations purement orales que l'on appelait aussi 'disputes'.
Pour ce qui concerne le judaïsme languedocien, outre son expression rationaliste et philosophique, il eut aussi une expression mystique et ésotériste qui s'exprima notamment avec Isaac L'Aveugle, le 'père de la Kabbale', l'ésotérisme basé sur la Torah.
La transmission juive des richesses culturelles du monde ibérique doit beaucoup à un certain Kalonymos ben Kalonymos, de souche narbonnaise où il naît en 1287, habile et fameux traducteur qui fit connaître de nombreux auteurs arabes, dont Averroès, à l'Occident Chrétien.
Lors de la Croisade infâme contre le sud occitan on sait qu'au massacre de Béziers de 1209 des rescapés juifs biterrois ont pu aller se réfugier en Catalogne. L'inscription de la Synagogue de Béziers datée de 1214 au cloître de la cathédrale St Nazaire, et la pierre d'Olot du Musée Biblique de Gérone racontant l'exil puis le retour à Béziers sont les témoins de ce va-et-vient catalano-languedocien qui se poursuivra au XIVème S; certains juifs iront cependant en Provence (dont des Amiel?).
- La fin de leur importante présence :
La magnifique histoire des juifs en Languedoc se terminera avec l'éradication royale, française, définitive de 1394, un siècle avant la même opération en Espagne. En Catalogne ils seront priés de se convertir ou de s'exiler; à ce moment-là ils purent, encore, venir en Provence, c'était encore, pour un siècle là aussi, un refuge possible pour eux. Leur présence sera encore effective au XVème S. en quelques lieux comme la Principauté d'Orange, le Comtat Venaissin et la ville d'Avignon (où ils furent les 'juifs du pape') ainsi que dans le comté de Roussillon-Cerdagne (non encore français).
- Ils changent de nom :
Le début du XVIème S. est marqué en France pour ces juifs par la conversion forcée (usage de menaces, emploi de la force, enlèvements...). Danièle Iancu a décrit quelques exemples de ces conversions plus que suggérées et elle montre les transformations de nom que ces situations ont entraîné : les noms hébraïques sont remplacés par des noms chrétiens nouveaux, souvent celui de saints. Le nom Amiel peut se considérer dans ce cadre d'ailleurs de marranes. On remarque par ailleurs le déclin jusqu'à l'extinction des médecins juifs parallèlement. Ainsi beaucoup de noms familiers de nos jours viennent (ou peuvent venir) de la culture juive (dont Amiel encore une fois !). Par ex. parmi les juifs d'Aragon il y avait, avant la conversion des Bonnafos, Vidal (ou Amiel). En Provence les convertis s'abriteront sous la protection du roi René d'Anjou et prendront son nom; c'est ainsi que les "d'Anjou" ou "Anjou" sont fréquents dans cette province.
(=> "Les juifs du Midi" Danièle & Carol Iancu, professeurs à l'Université de Montpellier, ed. barthélémy, Avignon).
- Quelques repères historiques locaux en conclusion :
- A Narbonne : Jusqu'en 483 la vie des juifs se déroule sans heurts. Mais en 587 une série de mesures restrictives contre eux les contraint au baptême (sans doute quelques Amiel furent dans cette fournée). Au VIIème S. le roi franc Dagobert les oblige à la conversion (et bis repetita) ce qui entraînera un premier reflux vers la Provence où ils bénéficieront pour longtemps on l'a vu de la tolérance. En 719 Narbonne est occupé par le général arabe El Samah et musulmans, chrétiens et juifs vont pourtant cohabiter dans une société multiple en tous domaines en bonne intelligence; jusqu'en 759 seulement où les arabes rapidement sont renvoyés de la région, et où l'on voit le vainqueur franc, en la personne de Pépin Le Bref, le monarque de fait, très français, confirmer juridiquement la communauté narbonnaise juive; il va même donner aux juifs le droit de posséder héréditairement des biens immobiliers, ce que confirmeront à sa suite tous les rois carolingiens! Un témoignage important est à citer en suite de cela, celui du voyage que fit en Languedoc le juif navarrais Benjamin de Tudèle en 1173; après 3 jours de voyage depuis Barcelone il arrive à Narbonne, voici ce qu'il en dit : C'est une ville où la profession de la Loi existe depuis longtemps et d'où elle s'est ensuite répandue dans d'autres contrées. Elle renferme de grands savants et d'honorables chefs. On y remarque le rabbin Kalonymos...connu dans sa généalogie comme descendant de la maison de David. Il possède des terres et des biens-fonds qu'il tient des seigneurs du pays, sans que personne ne puisse les lui ravir par la force. A la tête des savants de cette cité, se trouvent le rabbin Abraham, chef de l'académie, le poète Joseph fils d'Isaac Ben Kimchi, le rabbin Machir et le maître Iehuda ainsi qu'une foule d'autres docteurs de la Loi. Narbonne compte aujourd'hui trois cents juifs. (c-à-d pères de famille donc la communauté effective était alors importante aussi en nombre). Mais la tolérance terreau d'épanouissement s'interrompra auparavant avec la 1ère Croisade, en 1095, sous les Capétiens, et leur expulsion sera définitive sous le roi Philippe-le-Bel en 1306.
- A Perpignan : La première mention de leur présence ne date que de 1185 mais ils vivront ensuite sous la protection des rois de Majorque jusqu'en 1493.
(=> "Juifs en Languedoc-Roussillon, traces, transmission, itinéraire" CRIF Languedoc-Roussillon Juin 2006).
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