DU CATHARISME A LA REFORME PROTESTANTE : UNE FILIATION ? :
Peu évoquée par les chercheurs c'est une question historique qui doit être posée non particulièrement en ce qui concerne les rapports théologiques mais du moins en ce qui est recoupé par les patronymes de leurs pratiquants respectifs et la géographie de leurs lieux d'implantation.
En effet on a pu remarquer que les tenants de la Réforme au XVI-XVIIème S. de la zone languedocienne ont non seulement vécu en nombre dans les zones qui furent effectivement cathares mais que ces protestants portaient notoirement les mêmes patronymes. Sans pour autant pouvoir formellement affirmer qu'il s'agit de mêmes familles ces coïncidences sont toutefois remarquables surtout si l'on y ajoute les persécutions semblables qui s'en sont suivies de la part de l'église romaine comme du roi de France. Déjà au XVIème S; le premier historien protestant, Flacius Illyricus connu par l'usage sous le nom de Mathias Flacius, reconnu très savant en son temps, a notamment et véritablement réhabilité les cathares dons son "Catalogus testium véritatis...", son catalogue des témoins de la vérité, qui avant notre âge se sont opposés aux pontifes romains et aux erreurs du papisme (Bâle 1556, Strasbourg 1562, Lyon 1597). Plus tard et dans la région languedocienne, le rénovateur du phénomène cathare que fut l'ariégeois Napoléon Peyrat, pasteur protestant du XIXème S. qui disait descendre de cathares, écrivit en 1857 "A l'époque de la Réformation toutes les grandes maisons cathares du midi, dont l'Inquisition n'avait ni éteint l'intelligence ni abruti le cœur, réapparurent dans le calvinisme autour des comtes de Foix."
Pour ce qui est de la géographie des deux religions, on observe que la carte de l'implantation de la Réforme en Languedoc-Pyrénées et à son origine concerne très largement ce que l'on nomme de nos jours le "Pays Cathare" - le Biterrois, les Pyrénées et le Lauragais (audois) - bien plus que l'implantation actuelle du protestantisme. La vallée de l'Aude comme les Corbières, le village isolé de Bugarach par ex., et les Pyrénées catalanes ont connu le nouveau mouvement religieux. Depuis le Tarn, de Lavaur Castres et Revel les cités telles que Castelnaudary, Le Mas Saintes-Puelles, Montréal, Carcassonne ou Minerve furent protestantes avec la même intensité qu'elles furent cathares.
- Mr Georges de Capella, maire du Mas Stes-Puelles fit, entre 1971 et 2008, des recherches historiques sur le catharisme et le protestantisme dans l'Aude et particulièrement sur sa commune proche de Castelnaudary (11), située au carrefour de deux routes majeures, l'axe Toulouse-Carcassonne et Castres-Foix; il a étudié par ex. les compoix des XVI et XVIIème S. et parmi tous les patronymes de ces temps-là dont on peut compter une homonymie cathare (les 2/3 !) figure celui d'Amiel.
- Mr Michel Jas dont je parle plus amplement ensuite a, pour ses études des homonymes cathares / protestants (dont son livre "Braises cathares"), pu voir qu'à Mazamet (81), ~60 % des patronymes anciens protestants de ce bastion réformé furent aussi portés par les cathares et là aussi Amiel y figure.
- René Nelli, audois spécialiste, entre autre domaines, du catharisme, put lui aussi affirmer qu' "Il est incontestable que beaucoup de descendants d'hérétiques du XIIIème S. ont embrassé le calvinisme pour se venger de Rome mais...les deux doctrines différent profondément." Déjà au début du XIVème S. alors que l'on sort à peine de la période cathare, alors que le roi de France et l'Eglise ont repris en main toute la région, un certain Guillaume de Nogaret, originaire de ce Lauragais si hérétiqué, étant devenu le ministre principal de Philippe-le-Bel va fournir le meilleur exemple de cette volonté de vengeance : je dis par ailleurs qu'il souffleta le pape Boniface VIII à Rome mais il fit pire : il osa accuser le Saint-Père de sorcellerie et lui intenta un procès en 1310 ! (cf. Y. Dossat 'G. de Nogaret, petit-fils d'hérétique' in Annales du Midi, Toulouse, 1941, pp 391-401). On pourrait parler aussi de Joséphin Péladan, curieux personnage ésotérique du début du XXème S. qui fut l'un des fondateurs d'une éphémère secte néo-cathare moderne qu'il pensait pouvoir encore "ranimer"!
Le pasteur Michel Jas qui est l'un des rares tenants de la filiation cathares-protestants et qui connait bien la région et son histoire, résume ce lien cathares-protestants par cette phrase "Sur les cendres mal éteintes se rallument des braises cathares", et ce malgré ce que peuvent en penser des historiens reconnus comme E. Leroy-Ladurie. Et M. Jas ajoute "Aux yeux des anciennes familles albigeoises la Réforme apparait comme une reconnaissance de l'église des bonshommes. L'image du feu, du buisson ardent de Moïse, de la flamme de l'Esprit au bûcher des Martyrs, ce feu qui parait s'éteindre, couve sous la cendre jusqu'à ce qu'un souffle nouveau le ranime, avec les vaudois ou en Angleterre avec les Lollards à la fin du XIVème S. qui, eux-même en cendres, survivront jusqu'à Luther et Calvin."
Il en va pour ce "transfert" comme pour ce qui fut de l'une des transmissions du catharisme depuis le bogomilisme de Bulgarie; la vieille conception dualiste put être conservée à l'abri des redressements de l'église romaine par la conquête ottomane de cette région chrétienne; de même par le protestantisme, après la croisade albigeoise d'éradication en surface, le catharisme, du moins quelques uns de ses éléments ont-ils pu survivre encore plus de quatre siècles dans la région languedocienne; plusieurs témoignages de l'extrême fin du XIXème S. le prouvent, notamment dans les coins reculés, difficiles d'accès (Cévennes gardoises, Haut-Agout tarnais, vallées d'Ariège...), même s'il y a beaucoup de distance entre les deux doctrines encore une fois.
FILIATION PATRONYMIQUE :
Jean Duvernoy éminent historien du catharisme a commis une étude sur la patronymie vue à travers les registres d'inquisition du XIIIème S. Il a trouvé quelques 3000 patronymes, lesquels se sont d'ailleurs fixés véritablement au cours du siècle précédent selon lui. J'ai pour ma part longuement cité non seulement les noms 'en Amiel', formés selon le même radical patronymique mais aussi les lieux du Languedoc où ces noms furent portés suivant leur notation dans les registres d'enquête (cf page moyen-âge central). Mr Duvernoy indique qu'ils se sont formés sur quatre branches générales: 1- les prénoms, à partir du nom du père (valable pour Amiel), au génitif dans les équivalents latins de qui ils procèdent, avec la particularité occitane et spécifiquement lauragaise du matronyme comme on le constate par Na'melia, Na'rnalda ou Na bruna... avec cette particule Na qui indique explicitement que l'on prend, selon l'auteur, le nom de la mère (pour d'autres l'épouse veuve) en tous cas "l'héritière car "le ventre anoblit" ou du moins embourgeoise". 2 - Les noms de métiers; 3 - les noms de lieux-dits; et 4 - de simples noms ethniques (ex. Peytavi, poitevin en oc).
- Terroir occitan et aide-mémoire : Dans quelle mesure pouvons-nous imaginer quelque curieux du XV ou XVIème S. retrouver dans tel manuscrit de la Chanson de la Croisade Albigeoise, le nom d'un de ses voisins, d'un de ses amis ou d'un de ses propres ancêtres ? Telle est la question que se pose Michel Jas, une question qu'il estime sans réponse c'est sûr mais qui mérite d'être posée selon lui..et selon moi.
Hors des études savantes modernes il est certain que l'histoire générale cathare nous a été conservée par nombre d'écrits protestants qui ont tenu à garder le souvenir, la trace, et par là ce qu'il faut bien appeler la "filiation", ne serait-ce que par cet humanisme propre à la religion nouvelle de la Renaissance...
Des quelque 3100 à 3200 patronymes (suivant les graphies imprécises, essentiellement en Lauragais), en comparant ces noms du moyen-âge avec ceux de nos jours et en tenant compte aussi des localités, et même en étendant l'étude au-delà des zones touchées par l'inquisition contre l'hérésie albigeoise (sud Aveyron, Tarn, Hérault, Aude, Ariège, Toulousain), on peut déduire que le taux d'homonymie est de près de 40 % dans ces zones aussi très protestantes ! Le département le plus homonymique étant le Tarn suivi par l'Aude et ensuite l'Aveyron. L'étude sur tout le Languedoc n'abaisse ce taux que de peu, le portant de 37 à 25 % !
DE L'HISTOIRE VUE PAR LE FOLKLORE :
Après une longue période d'oubli entretenue par la chape de plomb imposée par le roman national français, les folkloristes, dont l'Aude est l'une des terres d'élection avec notamment Gaston Jourdanne, noteront il y a deux siècles naïvement des références à la Croisade Albigeoise mais vue du côté de l'église ou des croisés car l'église romaine avait bien fait aussi son travail de reconquête des cœurs et des esprits. "Dans le folklore ancien, la référence au catharisme devait être d'abord toute négative. On ne peut encenser (alors) ce que la religion diabolise... le retournement des traditions, quand il eut lieu, dut vraisemblablement s'opérer par le protestantisme ou plus récemment lors des poussées romantiques ou anticléricales" (au XIXème S.). "En terre catholique, le catharisme n'est redevenu que très tardivement fréquentable" (cf. J-L Biget "Mythographie du catharisme (1870-1960)" Cahiers de Fanjeaux n°14 pp.271-342). Et selon M. Jas, dans ces retrouvailles, il y a aussi de réelles inventions parlant avec nostalgie de l'ancienne noblesse locale (dont furent des Amiel comme on l'a vu) voyant avec sympathie le catharisme et corrélativement négativement la croisade. Enfin en folklore l'amalgame est facile et cet exemple est très parlant : encore au milieu du XXème S., les habitants du Mas-Stes-Puelles, foyer important de cathares (voyez mes recensions concernant les Amiel de ce lieu lauragais) comme plus tard foyer important de protestants (jusqu'en 1622) étaient surnommés familièrement les "caps de porcs" en raison de ces passés très hérétiques ! Un nom qui peut nous rappeler par ailleurs le nom des nouveaux convertis juifs à l'église, les "marranes" qui eux aussi furent des cochons.... D'ailleurs ces juifs convertis venus d'Espagne contribuèrent aussi à l'expansion de la Réforme en Languedoc : on peut citer les Bernuy riches bourgeois pasteliers connus à Toulouse; plusieurs comportements des premiers protestants du midi, à Montpellier, Toulouse ou Bordeaux, pourraient s'expliquer par leur ancien attachement à la religion mosaïque. Quand d'autres probablement aussi n'ont pas oublié l'ancienne proximité ou attachement familial au catharisme (les Toulouse-Lautrec par ex.) (voir ce sujet sur ces rapports page des généralités sur le moyen-âge régional).
Des derniers cathares aux protestants occitans :
- Les registres d'inquisition ou copies pour le midi s'arrêtent en 1329 avec cinq condamnations, bien que probablement le tribunal ait continué son oeuvre de redressement après cette date : on a des traces qui font référence à des dépositions de 1340 contre Pierre Vitalis, baile (maire) de Limoux (11) puis des condamnations en 1372 puis en 1400 contre un certain Bernard Melli (encore un Amiel par aphérèse !) et Jules Barthès, de St Hilaire (11) accusés d'hérésie. En 1422 enfin contre Dominique de Berris qui professait soit l'une des dernières déviances docites du catharisme ou bien une position judaïsante. Il n'y a plus dès ce début du XVème S. ni église cathare, ni de sacrement (consolament) sauf peut-être via la clandestinité des vaudois (certains textes vaudois qui ne seraient pas cependant liturgiques parlent de "consolation"). Quand aux dernières traces de bogomilisme elles ont été trouvées en Bosnie en 1626 et en Bulgarie en 1623 et même 1640 !
- A Castelnaudary (11) près du Mas-Stes-Puelles déjà noté, l'église protestante se maintiendra jusqu'en 1679 malgré la Ligue catholique. Il y eut des protestants dans l'Aude aussi à Alet, Limoux, Villepinte, Montréal, Montolieu, Besplas ou Saissac... Il est vrai que le Lauragais fut plus sporadiquement protestant mais il faut prendre en compte les répressions de cette zone de passage qui furent plus fortes ici comme cela fut le cas durant l'époque cathare, car cette région fait le lien entre le Tarn et la basse vallée de l'Ariège ou les hauts cantons de l'Hérault, fortement et durablement protestantisés. Une répression suivie d'une contre-réforme efficace (comme du temps des cathares) qui ne fut pourtant valable cette fois qu'au début du phénomène religieux car celui-ci se déplacera durablement vers l'est, dans les Cévennes et la vallée du Rhône et le Lauragais ne sera plus une terre protestante très rapidement (sauf les cas particuliers que l'on a noté).
(=> "Braises cathares" Michel Jas; Loubatières, Toulouse, 1992).
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