POEMES de LOUIS RODOLPHE AMIEL : (voir notice sur l'auteur page XXème S. et non XIXème.)
Né à Paris en 1849, dans la vie il fut sous-préfet non pas aux champs mais plutôt à la ville. Lauréat de l'Académie Française pour son œuvre singulière (en 1907 je pense) il s'attacha à mettre en vers des oeuvres exposées dans les galeries parisiennes. Il n'a écrit que des sonnets, c'était alors la grande mode; ce style d'écriture poétique a en effet occupé et peut-on dire même proliféré durant tout le dernier quart du XIXème S. C'est d'ailleurs par cette qualification qu'il titre ses recueils dont "Nouveaux sonnets" de 1908. Il fera des sonnets donc notamment sur les "Satires" de Juvénal dont j'ai eu l'occasion de parler pour certains Aemilius antiques qui y sont malmenés. Pour son époque il s'intéressera surtout aux œuvres picturales des expositions parisiennes mais ne dédaignera pas les sculptures et certaines personnalités. Voici par ex. comment il "traduit" une peinture de Jules Breton exposée en 1906 au Musée du Luxembourg.
La GLANEUSE
Sous les feux du couchant, au loin rougit la plaine.
Sur la droite, les blés en moyelles pressés,
Comme de blonds menhirs côte à côte dressés,
Profilent sur le ciel leur tête lourde et pleine.

De son pied nu foulant le sol, robuste et saine,
La glaneuse, portant à l'épaule placés
Les derniers épis mûrs par elle ramassés,
S'avance d'un pas ferme en sa grâce hautaine.

Le front large et bombé, le menton volontaire,
La bouche au pur dessin, la prunelle sévère,
Ont un charme vibrant de rude majesté.

De la fille des champs, poétique modèle,
Par chacun de ses traits elle résume en elle
La paysanne noble en sa simplicité.

Il a encore donné des mots à cette sculpture en marbre du grand Falguière aussi exposée la même année au même endroit.
TARCISIUS
Mortellement blessé sur le sol étendu,
Gît le jeune martyr, et sa tête mourante
Se penche : un souffle doux de sa bouche expirante
S'exhale avec les flots de son sang répandu.

De son Dieu, que sa foi sans peur a défendu,
Il serre encor l'image en sa main défaillante,
Et le dernier effort de son âme vaillante
Est un suprême hommage à son culte rendu.

De tout contact impur en préservant l'hostie,
Des profanes voulant souiller l'Eucharistie
Jusque dans le trépas, son courage est vainqueur.

Sans trouble, ayant subi le douloureux supplice,
Il triomphe en tombant, heureux du sacrifice
Fait au gage sacré, qu'il tient contre son cœur.

Ces poèmes furent non seulement publiés dans les revues d'arts de l'époque mais aussi placés auprès des œuvres exposées, chacun pouvant ainsi juger des deux. Les revues ont mis en regard du texte versifié la reproduction photographique de l'œuvre citée. C'est le cas des "Annales Politiques & Littéraires" (n°1211 du 9 Sept. 1906) où j'ai trouvé les deux textes précédents. En voici un autre publié en 1907 (1-2 Juillet) dans une autre revue.
ANTOINE et CLEOPATRE ou "La vie inimitable" (tableau)
La nef au loin s'avance et le flot bleu s'argente
Sous l'effort cadencé des rameurs au front noir,
Et la voile se tend à la brise du soir,
Mettant un reflet d'or sur la mer indulgente.

A la poupe, où la voix des chanteurs d'Agrigente
Monte douce, et se mêle aux parfums d'encensoir,
Sur des coussins de pourpre ils sont venus s'asseoir
Sous un velours de soie à la teinte changeante.

Et vers l'Imperator, qu'entourent ses bras blancs,
Cléopâtre se penche, et par des gestes lents
Au torse du Romain frôle sa gorge nue.

Lui, pour ne plus songer aux triomphes passés,
Sentant pâlir sa gloire au charme retenu,
Il savoure l'oubli dans ses bras enlacés.

Sensible à la plastique et à l'expression des visages comme des corps, attentif au cadre comme à l'atmosphère des œuvres, intéressé par l'histoire comme par la religion (encore importante dans la société d'il y a un siècle) il écrivit aussi sur des personnages célèbres de son temps. Voici un bel hommage à l'actrice incontournable et grande tragédienne Sarah Bernhardt publié comme le texte précédent dans "La Revue Latine" mais en 1908 (n° 1, 7ème année; 23-24 Février).
A MADAME SARAH BERNHARDT
Tu parais, et le charme opère en un moment.
Chaque mot sur ta lèvre ou rieuse ou superbe
Emprunte sa magie à l'éclat de ton verbe.
On t'écoute, bercé dans un enchantement.
De ses multiples feux tel un pur diamant
Projette autour de lui l'étincelante gerbe,
Ta voix câline et douce, ou terrible, âpre, acerbe,
Emeut l'âme d'un rêve ou d'un frémissement.
Et les plus beaux accents qu'inventa le génie
Ont retrouvé par toi l'ampleur et l'harmonie
Dont Rachel éblouit un public transporté.
Et l'on songe, à t'entendre, aux belles nuits sereines,
Quand le croissant d'argent répandait sa clarté
Sur les rocs de Caprée où chantaient les sirènes.

Il a publié ses œuvres en librairie aussi; un volume fut préfacé chaleureusement par Sully-Prudhomme, le 1er Prix Nobel de littérature qui eut pour inestimable amie une certaine Mme Amiel; on ne peut alors s'empêcher de penser que Louis-Rodolphe fut de la famille de son mari ? Voici une dernière critique d'un journaliste à l'égard du travail original de ce poète des arts : "Ses sonnets sont pour la plupart inspirés par des œuvres d'art, peintures ou sculptures des grands maîtres et Mr Amiel est passé maître à ce jeu savant et exquis, qui consiste à traduire en vers les œuvres d'art plastique, Joconde ou Vierges de Raphaël. Ces "transpositions d'art" donnent ainsi de goûter deux fois un chef d'œuvre".
'=> "La Revue latine" Dir. E. Paguet; 1902-1908).



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